Un billet, court, chaque jour.
« Vos rêves ne vous appartiennent plus. Nous les possédons aussi désormais. »
C’est à ce moment-là que son cauchemar s’est éteint. Un affreux cauchemar de cigale.
Une petite cigale dispendieuse, dépensait, dépensait ; elle croyait que cela pourrait durer toujours. Elle achetait des tas de choses, de trucs et de bidules inutiles. Elle distribuait de-ci, de-là ; à tous ceux qui réclamaient. Ceux qui réclamaient furent d’abord gentils, puis ils réclamaient toujours plus, et de moins en moins gentiment.
Ils savaient qu’elle était une manne intarissable et qu’elle cédait, à la flatterie souvent, à la menace le cas échéant.
L’argent ?
Il semblait que la source ne devait jamais se tarir. C’était facile. Elle ne savait même pas d’où il venait, elle en avait toujours à sa disposition.
Tous ceux qui lui prêtaient, des peuples de fourmis, étaient toujours très obséquieux. Ils semblaient l’aimer beaucoup.
Comme elle se faisait plaisir de mille façons futiles, elle ne s’occupait plus de ma maison. Celle-ci tombait en ruine. Mais cela n’avait pas d’importance puisqu’elle s’amusait.
Ses consœurs moins prolixes lui donnaient bien quelques avertissements. Mais rien ne pesait.
Alors les autres communautés de cigales se mirent à regarder son délire avec mépris. La petite cigale perdit bientôt tout leur respect et toute son influence.
Le ciel s’assombrit brusquement d’un amoncellement du nuages épais et noirs.
« Que faisiez-vous au temps chaud ? »
C’était une voix de fantôme, celle d’une monstrueuse fourmi.
Et là, le rêve est devenu moins agréable. Plus de miel dans la voix, plus de flatterie.
La fourmi a grandi, grandi.
Et des dizaines d’autres fourmis ont déferlé et se sont agglutinées autour d’elle.
Et la cigale s’est vue accrochée par les élytres à un clou.
« Au Clou ». Elle était au clou.
A force de dépenser, elle avait engagé tous ses biens, toute sa petite carapace, même ses élytres.
Elle avait aussi engagé tous ses congénères.
La fourmi, suivie de centaines d’autres fourmis venues de partout de l’univers des fourmis, tout aussi implacables, envahirent tout son domaine, tout le territoire de ses compatriotes cigales.
La cigale eut beau tenter de gémir, de plaider, rien ne pouvait arrêter la meute.
La fourmi en chef, dominant de son ombre la cigale agonisante, lui asséna d’une voix tonitruante :
– « Je possède 99,6% de tout ce qui était à toi. Moi et mes semblables t’avons prêté, prêté, presque gratuitement, tout cet argent que tu as semé au vent. Les 0,4% restant te donnent juste le droit de respirer encore un peu pour voir l’ampleur du désastre dans lequel tu es entré. Moi et mes sœurs avons désormais droit sur toi et sur tout ce que tu possèdes. Tu devras désormais te contraindre à nos lois. Tu devras travailler, travailler. Et rogner, rogner jusqu’à la corde, sur tous les plaisirs de cigale que toi et tes congénères avez connus jusqu’à présent.
Vos rêves ne vous appartiennent plus. Nous les possédons aussi désormais. »
C’est à ce moment-là que le cauchemar s’est éteint.
C’était un cauchemar et seulement un cauchemar de cigale.