Un billet, court, chaque jour.
Course de «L’Agneau», La Clusaz, Massif des Aravis – 15km – Dénivelé positif 713m
Certains matins, l’organisme, le corps, ne sont pas forcément en phase avec les ambitions fixées.
C’est comme cela, il n’y a rien à faire ; zéro moyens.
En 2017, je devais faire cette course ; entorse de la cheville droite. Deux jours avant la course. Verdict sans appel.
En 2018, je devais faire cette course ; fessier droit en vrac. La raison l’a emporté : conserver le capital.
Ce matin, il aurait pu se passer, comme l’expression le décrète : jamais deux sans trois. Incroyablement, les randonnées et courses des jours précédents s’étaient merveilleusement bien passées. Pas de bobos, pas de courbatures.
Il devait y avoir quand même une insatisfaction à satisfaire chez la « sorcière psychologie » et du coup, la journée et la nuit ont été terribles.
On aurait dit que tous les dieux, demi-dieux de l’Olympe s’étaient réunis au-dessus de mon lit pour batailler sur le sort de ma participation à cette course.
6:30 : le réveil sonne.
Ni le corps, ni l’esprit ne répondent.
J’étais une sorte de « Meccano ». Il y avait tout à assembler.
Mais les dieux, demi-dieux de l’Olympe avaient, dans leurs joutes, dû oublier certains ressorts de ma volonté et c’est sur eux que je me suis appuyée.
Geste par geste : faire sa toilette, s’habiller, s’hydrater, s’alimenter en vue de l’effort, remplir son sac, prendre la voiture, faire le trajet avec un fonds de musique ; j’ai inversé le sort de découragement qui m’avait été jeté.
Et la chance s’y est mise.
Place de stationnement idéale trouvée en une seconde.
Derniers préparatifs : épingler le dossard, poser sa consigne, repérer les lieux, échauffement tranquille.
Aller faire une petite prière dans l’église, située dans la zone de départ et dont la porte est grande ouverte
Papoter amicalement avec deux ou trois concurrents dans le sas de départ.
Et l’amour s’y est mis.
Impossible de décevoir ses enfants, ses chéris. Ils vont me rejoindre à l’arrivée.
Un autre but à atteindre au service de la volonté.
Franchement, c’eût été dommage de ne pas prendre le départ, tant le plaisir de courir, de gravir le long premier dénivelé, de relancer à chaque plat, de lâcher les chevaux dans les pentes, s’est déployé dès les premiers mètres.
Même la belle gamelle, le genou gauche bien couronné et la cheville droite un peu secouée, n’ont eu raison de l’envie d’en découdre jusqu’au bout.
Tout au long du parcours, je me suis fiée au « cardio », aux rythmes du cœur. Lui demander juste ce qu’il faut, pour ne pas s’épuiser trop vite et épuiser le corps inutilement.
Le cœur est un bon indicateur.
S’il est à son bon rythme, il est possible, et c’est ce que je fais, de réciter un poème sans hacher, ni en entrecouper les mots.
Le terrain accidenté : forêt, racines, caillasses difformes, sol humide, gras et glissant, sentiers poussiéreux, herbe instable -, défile.
Marcher dans les rudes montées, danser dans les pentes entre les obstacles, dépasser quelques autres coureurs, se faire dépasser en retour, dépasser à nouveau.
Quelques badauds bien sympathiques, surtout les enfants, vous encouragent à tue-tête.
Et puis, la descente finale et l’odeur de l’écurie. Je touche au but.
Dans l’élan, je laisse, plantés là, dans le sillage de la comète heureuse que je suis devenue, les sorcières, les dieux et les demi-dieux.
Le plaisir seul, d’avoir mis K.O. ces mauvais prophètes et de leur avoir tenu tête, porte les dernières foulées vers la ligne d’arrivée.
Une ligne déjà franchie plusieurs dizaines de fois, mais qui ce matin, avait une résonance particulière ; celle d’avoir conjuré et les mauvaises années et les sorciers.
Les tracas de la veille et des autres années, où sont-ils ?
Je les ai chassés.
Le gentil monsieur de la Croix-Rouge s’est occupé de mon genou et de ma cheville.
Les enfants sont là ! Avec leurs sourires et leurs attentions.
Et toc ! Y aller était la bonne décision !