Un billet, court, chaque jour.
Entrer dans le magasin, pardon, dans l’écrin de Pierre, est un enchantement. Les fleurs y débordent, elles se mêlent et s’entremêlent, elles s’épanouissent, elles embaument.
Pierre est un fleuriste.
C’est un métier compliqué et important.
Compliqué. J’ai eu la chance de l’accompagner, tôt, très tôt, un matin à Rungis, et vraiment, repérer, choisir est un métier qui ne s’improvise pas.
Cela se voit qu’il sait son art. Il navigue dans les travées, dans la houle des pétales et des bourgeons avec l’œil, le nez, l’intuition d’un vieux loup de mer.
Il cabote d’étal en étal et soudain fond droit sur la fine fleur des fleurs.
Important. Et là, ce ne sera pas moi qui en parlerai le mieux, c’est Alain Baraton, le Jardinier du Château de Versailles, de Trianon et de Marly. Il consacre tout un chapitre de « L’Amour au Jardin » aux fleurs. Au langage des fleurs.
Et là vraiment, on s’aperçoit que le métier de fleuriste est aussi un métier de linguiste, ou de traducteur, ou, certainement, de diplomate.
Car, si, par exemple, vous offrez des géraniums à votre idylle, s’ils sont rouges, vous lui signifiez que vous la trouvez bête. Vous risquez gros, à moins que vous n’ayez calibré une intention précise à l’avance, celle, par exemple, de lui signifier son congé !
Au-delà du compliqué et de l’important de son métier, non content d’être un fleuriste, Pierre est aussi un artiste ; c’est un poète.
Il manie et marie les fleurs, les couleurs, les formes, les volumes comme pour, en vous privant de mots, vous repaître de rêves, de ressentis.
Ce ne sont pas des natures mortes qu’il crée, ce sont des peintures vivantes.
Plisser doucement le regard, dans le clair-obscur intentionné, suffit à saisir le motif poétique.
Dans ses gestes, malgré la fatigue, un peu d’usure, se ressentent l’amour du métier, la maîtrise des compositions, la finesse des assemblages.
Il transforme les petits sous de ses clients en vers fleuris, en rimes odoriférantes, il leur compose des messages en bouquet.
Rien ne fonctionnerait sans générosité. Une générosité inspirée du charme des corolles et des feuillages.
Je reprendrai Alain Barton, dont je retaillerai la prose au bénéfice de l’artiste Pierre : « la gent masculine a offert suffisamment de fleurs pour pouvoir en garder une ».
Considérons alors que ce billet est une fleur faite à un ami-fleuriste-artiste-poète.