Un billet, court, chaque jour.
Les alertes, les articles pleuvent pour montrer qu’en France, et probablement aussi dans l’ensemble des pays comparables, la qualité d’acquisition des apprentissages fondamentaux est très dégradée.
Il paraît que les enfants ne se sauraient plus tenir correctement un crayon.
Alors, qu’est-ce qui ne fonctionne plus !
Il ne s’agit pas ici de refaire le monde ou de porter des jugements, mais de saisir dans nos mémoires ce qui nous a permis, à nous, de construire de si bons savoirs.
1/ Nous avons peiné.
De la maternelle à la fin – si elle existe jamais – des apprentissages, nous avons usé du jus de cerveau, de l’huile de coude, tiré la langue, renâclé, essayé, échoué, appris, réessayé, exécuté d’abord maladroitement puis réussi de mieux en mieux.
Le crayon à la main, nous avons copié des centaines de lettres, conjugué des dizaines de verbes, à tous les modes et à tous les temps. Les terminaisons en couleur.
Les adultes, les instituteurs n’hésitaient pas à dire quand c’était mal fait, ils le disaient avec plus ou moins de pédagogie, mais au moins, c’était la vérité ; il n’y avait plus qu’à recommencer, encore, jusqu’à obtenir satisfaction.
Les notes incluaient la forme et le fonds ; aucune injustice, les deux n’étaient pas séparables.
Une jolie page, écrite finement, en pleins et déliés, sans ratures, reste au long cours une source de satisfaction et de fierté.
2/ Nous nous sommes gavés. Ou plus justement, on nous a gavé.
Au moins toute la période de l’école primaire, c’était du gavage. Le gavage des basiques : lettres, syllabes, orthographe, conjugaison, vocabulaire, calcul mental, dates de l’Histoire, numéros de département, préfectures, sous-préfectures, pays, capitales.
A force, cela finissait par se régurgiter sans effort.
Je me souviens, en français, en anglais, en Histoire, en géographie, d’interrogations – surprises ou non – qui ne consistaient qu’en l’évaluation froide et méthodique de ces clés fondamentales, de ces savoirs de bases.
« La Cigale ayant chanté »
38, l’Isère ; 39, le Jura ; 40, les Landes.
Autriche, Vienne ; Indonésie, Jakarta.
1515, Marignan ; Capétiens, Valois, Bourbons
Être maître de multiples références qui permettent de se situer seul dans l’espace et dans le temps.
3/ Nous avons cherché
Manipuler un dictionnaire pour passer de mot en mot et ainsi voir d’autres mots que le mot recherché.
Feuilleter une encyclopédie. Trier, trouver les informations pertinentes, pour un exposé par exemple.
Soumettre un texte à une analyse grammaticale : bleu pour le sujet et l’attribut du sujet, rouge pour le verbe, vert pour les compléments circonstanciels, jaune pour le C.O.D., orange pour le COI. Les conjonctions de coordination.
Aligner les nombres sur un rouleau de caisse : unités en jaune, dizaines en bleu, centaines en rouge, unités de mille en jaune.
Poser une addition, une soustraction, une multiplication, une division.
Disséquer des grenouilles, des souris.
Composer des herbiers.
Comprendre que derrière tout savoir il y a un effort personnel de décomposition, de compréhension qui ne dépend pas d’un clic.
Qu’est-ce qui, dans l’instruction d’aujourd’hui, ne fonctionne plus qui fonctionnait alors ?
« b.a. – ba »
Écriture, lecture, calcul.
Le « b.a. – ba » ou les rudiments des savoirs fondamentaux sont-ils désuets, dépassés ou restent-ils justement les briques essentielles, les armes solides qui permettent de conquérir, plus tard, d’autres savoirs bien plus sophistiqués ?
Effort, gavage, exploration ne seraient que des souvenirs négatifs s’il n’y avait, derrière tout cela, que de la technique.
Cet effort, ce gavage, cette exploration me semble nous avoir été présentés comme des terreaux d’orgueil positif, des gages d’autonomie, des sésames pour accéder à plus, plus complexe, plus riche.
Il n’y avait pas de gadgets éducatifs, pas de tablettes, pas de tableaux interactifs, juste du travail.
Celui que produit la main, qu’élabore le cerveau, par étape, au fil des succès.
Cela n’a pas empêché, plus tard, d’être parfaitement adaptés et adaptables aux nouvelles technologies.
Nous étions sans doute entourés d’adultes bien formés, des enseignants à qui tout et n’importe quoi n’était pas demandé, comme par exemple d’enseigner des comportements qui s’acquéraient par l’éducation, auprès des parents.
Le souvenir qui reste, c’est qu’il n’était pas demandé autre chose que de bien faire son métier, son métier d’enfant, apprendre, être curieux, courageux et faire de son mieux.