Un billet, court, chaque jour.
Aux pieds des « Hommes de la Cité », œuvre d’art : huit sculptures de bronze -, il y a un homme qui s’arrime souvent là : un échoué.
Le dalle de béton, à l’entrée du métro « Esplanade de La Défense » semble lui servir d’île, de banc de sable malmené par une houle, la houle d’une foule pressée, aussi neutre et indifférente que les vagues de l’océan.
D’ailleurs, l’œuvre de France et Hughes Siptrott, installée en 1995, fait référence aux foules anonymes de passants qui peuvent se reconnaître dans une éternité figée.
En figeant par l’objectif l’image de cet homme perdu au milieu de l’océan humain, aux écueils de béton et de verre, je me suis rappelé un passage écrit par Michel Tournier dans « Vendredi ou la Vie sauvage » :
« Robinson avait beau lui expliquer que c’était comme cela en Europe dans les pays civilisés, il ne voyait pas pourquoi il fallait faire la même chose sur l’île déserte du Pacifique. »
Cet échoué en est-il au même degré d’incompréhension ?
D’ailleurs, à la fin du récit de Tournier, Robinson lui-même, pris jusqu’au cœur par sa vie de naufragé, refusera l’aubaine du Whitebird, un bateau, sésame d’un retour à la civilisation. Il choisit définitivement sa propre éternité figée.
Les amarres avaient été trop rognées ; rien ne le rattachait plus aux foules de l’occident devenues anonymes. Il choisit de rester sur son île.
Le naufragé de La Défense, doublé de façon incessante par des Whitebird majoritairement indifférents, ne cherche plus à signaler sa présence. Il les laisse caboter près de lui sans les détourner de leur route.
Il n’agite plus rien. Il laisse passer.
Il est là sans l’être, sur un rocher pourtant bien visible à l’œil et sur nos cartes connectées, au milieu de nous mais sans balise : la solitude.
Il est moins visible que les « Hommes de la Cité » ; il est invisible aux « Hommes de la Cité ».
Il y a des îles moins lointaines, que chacun de nous, vaisseaux pressés et chargés, au long cours, n’abordons plus, même d’un simple regard : des hommes échoués qui ont choisi les îles perdues de la solitude, sans attaches, au milieu de nous.