Un billet, court, chaque jour.
Il pleuvait à verse à la sortie de la station de métro Saint-Germain des Prés. Cela aurait pu se résumer à une situation banale d’un début d’automne s’il n’ y a avait eu, accroché aux balustrades, un monsieur fou.
« Monsieur Fou », c’est en l’appelant ainsi que va se poursuivre ce récit.
« Monsieur Fou » était donc d’une humeur bien plus exécrable que la météo. Il semblait en vouloir à tout le monde et le criait haut et fort.
Il s’agitait dans une involontaire chorégraphie, par d’amples mouvements du corps accompagnant ses diatribes ; une main restant toutefois agrippée aux barrières, histoire de ne pas perdre totalement l’équilibre dans sa danse de la colère.
Une sorte de pole dance de la folie.
S’il semblait dans l’ensemble en vouloir à tout le monde, ses coups de voix, en revanche, visaient une par une des cibles : les passants, les hommes, les femmes, les vieux, les jeunes.
Un quolibet, une vacherie, une diatribe, une rage, une insulte pour chacun.
Chaque salve était en fait assez précise. Un simple coup d’œil, une furtive observation paraissait lui suffire pour détecter le défaut, l’écart.
Et allez, il attaquait, à haute voix, d’une bordée de vociférations, le défaut, l’écart.
Étonnement, ses tirs avaient à peine l’air d’effleurer les cibles, ne les atteignaient pour ainsi dire pas.
Seuls certains pivotaient d’un petit quart, dans un sursaut-réflexe, comme la réaction de quelqu’un qui cherche la source d’un bruit anormal et qui finalement réalise que tout va bien.
Deux mondes parallèles : celui du fou et celui des passants.
Les passants qui passent devant le feu nourri de son lyrisme rageur sans même finalement y prêter attention.
À peine la gêne d’un bruit de moustique. Et encore, le moustique serait un vrai danger.
Tant mieux finalement pour cette indifférence, car, à m’intéresser aux liens entre les invectives et leurs destinataires, j’ai réalisé qu’il faisait mouche, presque à chaque fois.
Mais comme il est donné pour fou, sa verve arrose le vide, l’espace sans écho entre les passants, le trou noir de la cécité et de la surdité volontaires, l’immensité de l’indifférence.
« Monsieur Fou » est d’un autre monde. D’un monde dégoupillé.
D’un monde où s’ose à haute voix ce que, dans l’autre monde, tout un chacun vérouille dans les tréfonds de ses pensées.