Un billet, court, chaque jour.
On croit savoir beaucoup de choses alors qu’en fait, projeté dans un contexte différent, dans la réalité des autres, on ne sait rien.
Ou si peu.
La prise de conscience de l’exiguïté de son savoir est autant un moment d’humilité bénéfique, salutaire, qu’un moment de renouveau, de recharge d’une énergie nouvelle pour aller encore plus loin dans la compréhension du monde, dans la compréhension de l’autre, dans l’acuité du regard que l’on peut porter sur son propre univers.
Le Liban, en quelques jours, m’aura offert cette aubaine inattendue.
Le « Notre-Père », le « Credo » des catholiques romains, se récite ailleurs, se récite en arabe.
Et c’est un émerveillement.
– « A-banâ ladhî fis samawât »
– « Notre Père qui êtes aux Cieux »
S’Il n’était qu’aux Cieux.
De la plaine de la Békaa, aux coins des rues de Beyrouth, sur les sommets des montagnes, au cœur de la forêt du Cèdre de Dieu, aux croisements des routes, sur les panneaux à messages variables de l’autoroute, à Michel Aoun qui prie à la messe de Noël, Dieu, Jésus-Christ, la Vierge Marie, les crèches, les croix, les chants s’affichent partout.
Dire que, dans mon hexagone en ébullition, on chasse tous ces signes de foi chrétienne.
Je croyais tout savoir, être remplie de convictions très vivaces avant de m’asseoir au premier rang de l’église Notre-Dame de Bcharré, en surplomb de la vallée de la Kadisha.
Ce Noël maronite m’a montré qu’il restait encore bien de l’énergie à déployer.
Dès les premiers chants, les premiers « mazmouro », je me suis sentie projetée dans le temps des premières églises chrétiennes, celles, dans le désordre, de l’hébreu, de l’araméen, du syriaque, du phénicien, de l’arabe.
Il m’a fallu, au fil de la liturgie, recomposer ma prière, celle que, finalement, de dimanche en dimanche, je récite mécaniquement. Trop sûre d’en connaître parfaitement le sens, assez orgueilleuse pour imaginer qu’elle est la meilleure.
Quelle joie, quel soulagement de reconnaître au moins ces deux prières et de pouvoir les reprendre, dans ma langue, en communion.
J’aurais connu mon moment de minorité, mon moment de différence au sein d’une communauté soudée.
Je suis sortie de la célébration transportée par la beauté des pièces chantées par une chorale de jeunes aux voix pures, déterminés à porter haut leur foi.
Je suis sortie de la célébration reconnaissante envers la famille libanaise qui nous a pris sous son aile pour partager ce moment clé de la vie chrétienne qu’est la Nativité.
Je suis sortie de la célébration augmentée d’un cœur neuf, encore plus volontaire à exprimer, défendre, sans prosélytisme aveugle, mes convictions chrétiennes.
Ainsi, le lendemain, c’est avec avidité que j’ai visité la vallée « sainte » de la Kadisha, perdu mes pas au milieu des cèdres, eu le vertige en descendant en son point le plus bas pour découvrir le monastère de Mar-Elisha encastré dans la falaise et la végétation.
À ne serait-ce que survoler les combats au prix de leur sang de ces communautés chrétiennes du Levant, du Concile de Chalcédoine, à la conquête musulmane du VIIème siècle, au prix de leur vitalité avec les Pères franciscains et le Général Gouraud, j’ai découvert, en quelques heures, un nouveau sens aux mots foi, culture, enracinement, tradition solidarité et surtout, détermination.
On croit faire beaucoup de choses alors qu’en fait, revenu dans son contexte d’origine, dans sa propre réalité, on réalise qu’on ne fait rien.
Ou si peu.