Je dois à Jacques Weber mon premier émerveillement au théâtre.
Sans doute Cyrano a-t-il eu de nombreux interprètes, mais lorsque l’on a douze ans, cet émerveillement-là dure toute une vie, d’autant plus qu’il est fondé sur une véritable performance de jeu d’acteur. Jacques Weber le dit lui-même, au théâtre, il n’y a pas de choses secrètes, tout se voit. Et le talent, d’abord et toujours.
Je reprends Rostand de temps à autres et dans chaque réplique, c’est Weber que j’entends. Le grand art fait écho longtemps.
– « Oui, la pointe, le mot !
Et je voudrais mourir, un soir, sous un ciel rose,
En faisant un bon mot, pour une belle cause ! » – Acte IV, scène III
Le grand Art reste sur scène. Le grand Art s’affiche à l’écran.
Le grand Art ne se commet pas dans l’arène du quotidien.
Le grand Art ne se commet pas à donner des leçons.
Et d’ailleurs, le public ne le demande pas.
Il demande à Adèle de se taire aux César.
Il ne demande pas de pétitions.
Il ne demande pas des incitations à la vaccination.
« Restez sur scène »
Le grand Art est une parenthèse, des trois coups au tombé de rideau, du « moteur » au « coupez ».
Un Art de dire, de déclamer, de rire, de réciter qui happe le spectateur dans la fiction d’un rôle, que lui-même a joué, joue et jouera, pour toute ou partie, à un moment de sa vie.
C’est du connu, du vécu, du perçu, du ressenti ; du craint et du méprisable, du possible et du désirable.
Alors, si Cyrano, abandonnant Roxane, enlevait son pourpoint, descendait dans la rue, vitupérait pour d’autres sujets que cette « belle cause », celle de l’amour, du texte et de la prose, je le renverrais à sa propre conclusion :
– « Je me les sers moi-même, avec assez de verve,
Mais je ne permets pas qu’un autre me les serve. » – Acte Ier, scène IV