
Petite pause habituelle à la passerelle de l’Avre sur l’itinéraire qui va, puis revient, de Boulogne à Saint-Cloud.
À bâbord comme à tribord, la lumière, en bon peintre, varie sa palette, retouche sans cesse les lignes et les perspectives des bords de la Seine.
Selon le temps, un aspect, un détail, saillit plus qu’un autre.
Mais il y a toujours quatre plans principaux dont on se demande, en l’occurrence ce matin particulièrement, s’ils sont le fait d’un seul ou de quatre peintres.
Ou encore, si, pour chacune de ses passions, la lumière a un peintre attitré.
C’est cette piste qu’il faut sans doute suivre.
Ainsi, là, il y avait le peintre de l’eau, le peintre des esquifs, le peintre des houppiers et celui, au fond, de la skyline.
Le peintre de l’eau a pris soin de faire briller cette patine de sédiments et d’argile que charrie la Seine. Ce glacis brun très particulier a besoin de lustre pour être admirable, en particulier pour les profanes qui n’y voient qu’une eau repoussante. Le connaisseur, l’habitué y retrouve son odeur particulière ; douce, boisée, sablonneuse et minérale.
Le peintre des esquifs est schizophrène ; à droite, jeune et pressé, à gauche, mature et bohême. L’un veut régenter l’onde, l’autre, lui laisser son libre cours.
Le peintre des houppiers ne renonce pas à imposer son style sylvestre. Il tient à garder sa place, au tout premier plan. Les fards de l’hiver ternissent un peu son talent, mais dès le printemps, sous peu de jours, il lâchera ses touches, finement d’abord, puis à la volée ensuite, prenant d’un coup toute la place, effaçant toutes les perspectives, dans les plus riches nuances de vert.
Il y a enfin le peintre de la skyline, le cubiste des lignes dures, des tons froids du verre et de l’acier. Il essaie de fondre son art dans les patines du peintre de l’eau, dans la minutie du peintre des esquifs, dans les touches du peintre des houppiers.
Mais il reste pétrifié ; ses lignes se détachent et accusent l’ensemble. Il dénote par l’insensibilité de son trait sans accroc, par son relief étriqué et vidé de toute âme.
Alors cette lumière-là, soucieuse de son artisan, inquiète pour sa propre réputation, dans une grande mansuétude, lui accorde quelques belles gouaches grises pour assurer à son art un soupçon de beauté, un minimum d’allure.
Pour assurer le dernier plan.