Odyssée 2021 (#55) – « La musique au corps »

« Je ne sais pas ce que ces deux Italiennes étaient en train de chanter.
À dire vrai, je ne veux pas le savoir.  Il vaut mieux ne pas dire certaines choses.
Je crois que c’était quelque chose de si beau que cela ne peut pas s’exprimer avec des mots ; c’est pour cela que notre cœur en souffre.
Ces voix s’élevaient plus haut et plus loin qu’aucun prisonnier n’aurait pu rêver.  C’était comme un oiseau merveilleux qui venait voleter dans nos cages.  On ne voyait plus nos murs.
Pendant ce court instant, chaque homme de la prison s’est senti libre. »

Cette réplique est tirée du film « The Shawshank Redemption » (en français, le titre est peu vendeur) avec Tim Robbins et Morgan Freeman.

La musique prend tous les sens, tout le corps et tout l’esprit.
Les mélomanes le savent.

Il suffit d’observer, en plein effort, un musicien ; comme il obéit aux variations de son instrument.
Maria Callas, Natalie Dessay, Philippe Jaroussky, Placido Domingo.  Ils sont en fusion avec leur voix ; ils ondulent sur les notes comme des flammes autour des bûches.
À regarder les expressions de visage et le jeu corporel des grands chefs d’orchestre, comme Jean-Christophe Spinosi, se ressent comme une incandescence, une puissance venue du plus profond de leurs fibres corporelles.

Tous sont déjà les instruments de leur musique.  Elle passe par eux. Et nous traverse tous.
D’ailleurs, Jean-Christophe Spinosi l’évoque lui-même et résume assez bien la réplique du film citée plus haut :
« Regardez-vous dans une glace et dites que cela ne vous fait rien. »

L’air en question, dans le film « The Shawshank Redemption », est « L’air de la Lettre », « Canzonetta sull’aria », extrait des « Noces de Figaro » de W. A. Mozart.
Il est vrai que la mélodie emporte l’importance des paroles.  Elle pénètre, sans que l’on puisse se défendre, y opposer la moindre résistance, jusqu’au plus profond de nos épidermes, jusqu’au plus infime de nos neurones.  Elle fait place nette.  Elle laisse un espace pour la grâce.

Imagine-t-on des centaines de prisonniers, d’hier et d’aujourd’hui, que tout condamne, de leurs crimes à leur détention, dont les corps ont été les instruments et les proies de la plus insigne violence, qui les poursuit au quotidien dans leur geôle, résonner, sans qu’ils puissent y résister, de toutes les fibres de leur peau, aux ondes pénétrantes de ces voix féminines.
Ces voix chassent tout.  Elles purifient tout.

Ce serait le moment, à cet instant de néant et de grâce, de commencer autre chose ; de, sur ce vide exempt de toute émotion négative, réécrire une nouvelle partition.  Comme une nouvelle chance, une main sur la poignée d’un nouvel avenir à ouvrir.
Les bases d’une nouvelle foi : en soi, aux autres, au monde.

Cela se vérifie dans nombre de pièces musicales, autant sacrées que profanes, de Charpentier à Fauré, de Saint-Saëns à Debussy.
Lorsque le corps vibre à l’unisson des instruments et des voix, on comprend ce que c’est que la foi.
La musique au corps et la haine au dehors.

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