
Cela fait du bien de lire des approches positives de notre Histoire nationale. Et de ne pas en livrer l’analyse – à charge – aux seuls qui veulent se servir du moindre de ses replis pour avilir notre mémoire collective et nous livrer à une introspection malsaine, continue et humiliante.
Georges Bernanos en mots francs et phrases coupantes, donne à lire de la fierté. Il faut faire de l’éloquence de « La France contre les Robots », écrit en 1947, son miel, comme un remède, pour se recomposer une psyché collective.
Je vous laisse savourer ces lignes :
« Il y a une tradition française de la Révolution, une tradition humaniste de la Révolution Universelle, une Révolution de la Déclaration des Droits de l’Homme qui se distingue d’une manière absolue — idéologiquement et historiquement — de la tradition allemande.
De ces deux traditions, ce n’est pas ici le lieu de dire quelle est la bonne, je prétends seulement qu’on ne les confonde pas ou que, faute de pouvoir les confondre, on ne diffame pas plus ou moins sournoisement la seconde en calomniant l’homme français jusqu’à faire de cette communion héroïque de toute une nation, en pleine force, en pleine gloire, une sorte d’insurrection sans caractère propre, une insurrection de serfs croupissant depuis des siècles dans l’ignorance, la saleté, la misère, et profitant de quelques circonstances favorables pour anéantir mille ans d’Histoire, comme un mendiant, la nuit, incendie la ferme où on lui a refusé l’aumône.
Je répète que la Révolution de 89 a été la révolution de l’Homme, inspirée par une foi religieuse dans l’homme, au lieu que la Révolution allemande du type marxiste est la Révolution des masses, inspirée non par la foi dans l’homme, mais dans le déterminisme inflexible des lois économiques qui règlent son activité, elle-même orientée par son intérêt. Encore une fois, je n’oppose pas ici deux idéologies, je les distingue.
Si la Révolution de 89 est devenue tout de suite une des plus belles légendes humaines, c’est parce qu’elle a commencé dans la foi, l’enthousiasme, qu’elle n’a pas été une explosion de colère, mais celle d’une immense espérance accumulée.
Pourquoi dès lors essayer de nous faire croire qu’elle est sortie des enfers de la misère ?
L’Allemand Wahl conclut ainsi son livre :
– « Les cinquante années qui précédèrent la Révolution furent une époque de formidables progrès ».
Dans ses « Recherches sur la population de la France » Menance écrit, en 1788 :
– « Depuis quarante ans le prix du blé a diminué et les salaires augmentent. »
De 1763 à 1789, les chiffres du commerce intérieur avaient doublé.
De 1737 à 1787, cinquante mille kilomètres de routes avaient été construits.
– « On peut compter, disait Necker, que le produit de tous les droits de consommation augmente de deux millions par an. »
La France compte des savants comme : Lavoisier, Guyton, Morveau, Berthollet, Monge, Laplace, Lagrange, Daubenton, Lamarck, Jussieu ; le bateau à vapeur de Jouffroy d’Abans navigue sur le Doubs, Philippe Lebon découvre le gaz d’éclairage, les frères Montgolfier l’aérostat.
Turgot fait décréter le libre commerce des grains, en 1774. En 1777, la liberté des cultes est proclamée. En 1776, on crée le Mont-de-Piété, pour le prêt sur gage, au taux le plus modéré, trois pour cent.
Un peu plus tard, le Roi réorganise entièrement le service des postes, et décide que le secret des lettres sera respecté, même par les officiers de justice — réforme que la Convention Nationale ne put et n’osa pas maintenir…
Encore une fois, le Français du XVIIIème siècle n’est pas un chien qui brise sa chaîne, un mouton devenu enragé, mais un homme fier du travail de ses aïeux, conscient de la grandeur de son histoire, et qui se croit au seuil d’une civilisation nouvelle, sortie de son esprit et de ses mains, faite à son image, un Âge d’Or.
N’est-ce pas en ce moment que l’Académie de Berlin choisit comme sujet de concours : « Raisons de la Supériorité de la Langue Française » ?
À Berlin comme ailleurs, cette supériorité de notre langue — et aussi celle de nos arts, de nos mœurs — n’était plus discutée ; on en discutait seulement les raisons.
Oh ! sans doute, quelque lecteur pensera ici que le paysan français se souciait peu alors du choix de l’Académie de Berlin, choix que d’ailleurs il ignorait.
Mais il n’ignorait pas la place que la France occupait en Europe, et que cette place était la première. Du moins savait-il vaguement qu’il appartenait au peuple le plus civilisé du monde ; et ce peuple méritait, en effet, plus qu’aucun autre, le nom de civilisé, car la conscience de sa supériorité ne lui inspirait rien qui ressemblât au hideux nationalisme moderne, il était vraiment sans haine, il rêvait vraiment à la liberté et au bonheur du genre humain ; Jean-Jacques était réellement son prophète.
On objectera que le peuple ne savait pas lire.
Mais d’abord, le nombre des illettrés était beaucoup moins grand qu’on ne le pense généralement — sur cinq cents communes, vingt-deux seulement n’avaient pas de maître d’école. C’était même le bas clergé qui en ce temps-là se montrait le plus ardent propagandiste de l’instruction obligatoire ; la bourgeoisie — particulièrement la bourgeoisie intellectuelle — jugeait cette réforme dangereuse :
– « Une seule plume suffit pour cent habitants », disait Voltaire. N’importe !
Quiconque a quelque notion de l’Histoire sait parfaitement que le Sermon du Vicaire Savoyard eût été alors compris et acclamé dans la plus humble chaire de village.
Les jeunes généraux de la République, Hoche, Marceau, Bonaparte lui-même, ne parlaient-ils pas à leurs soldats, chaque fois qu’ils en trouvaient l’occasion, le langage de Rousseau ? »