
Chaque livre, chaque roman apporte son lot de découvertes, sa part d’émerveillement ; chaque lecture offre de nouvelles perspectives.
Ce sont des « supérettes » où l’on prend ce que l’on veut, puisque tout est offert.
« J’irais nager dans plus de rivières » est au conditionnel. « Si » : comme une deuxième chance de réécrire le cours de sa vie ; sa « rivière », ce mouvement de nos existences qui se renouvelle chaque jour.
Nous savons, en philosophes, en Héraclite, que chaque matin est une eau différente. Nous devons y nager, à courant autant qu’à contre-courant.
« Si » !
Nous n’aurons jamais l’existence prolifique de Philippe Labro. L’envie est l’un des sept péchés capitaux ; il ne faut pas sombrer dans cette avanie-là.
Il n’en reste pas moins que, chacune des rencontres extraordinaires que le Romancier a pu vivre place la barre haut par contraste avec nos existences triviales.
Ne serait-ce qu’avoir vu Romain Gary en chair et en os, et même, lui avoir parlé !
Alors, à l’aune de ce que chaque lecture apporte comme nouvelles perspectives, pour surmonter le « si », ce doute proche du remord qui nous taraude fréquemment, comment aborder ce livre-bilan, cette confession à certains endroits, et passer sans regret du conditionnel au présent de l’indicatif, cette conjugaison qui est la nôtre.
Dans la supérette Labro, on apprend le « moitrinaire » : la satisfaction, le savoureux de ce que l’on a. « Si » l’on ne peut pas être plus, alors il faut aimer ce que l’on a. Et, finalement, à bien y regarder, on a beaucoup.
Nous partageons, sans l’admettre parce que nous refusons de le savoir, l’éclectisme de ce Gascon. Nos vies sont plurielles de rencontres, d’émotions, de tentatives, d’échecs, de réussites, d’élan d’amour et de peines de cœur.
Mais, et ce peut être là le seul bémol à une auto-analyse, si nous avons fait des efforts pour que la vie nous gâte, alors il faut être satisfait de ce qu’elle nous a apporté, d’autant plus si, ayant échoué là, encore et encore, nous avons essayé ailleurs.
Philippe Labro, en répondant à la sentence du regretté Chef Bernard Loiseau : « on n’emportera rien », nous invite à faire notre marché dans nos propres vies et à prendre tout, absolument tout, le moins bon comme le meilleur et à fonder notre propre imaginaire, à façonner notre propre légende ; à être aussi tout à fait dans l’éloge de soi, à être « moitrinaire ».
« J’irais nager dans plus de rivières » est une déclinaison d’un poème de l’Argentin Jorge Luis Borges, un éloge du « si ».
– « Si je pouvais de nouveau vivre ma vie »
Alors là, et c’est en cela que ce récit joue parfaitement son rôle, l’imaginaire s’emballe, comme une rivière, comme des rivières nouvelles à inventer. Il faut tordre le bras à ce seul vrai regret de la confession, relever le gant, même sans écrire un roman :
Je n’ai pas su inventer, mais j’ai transformé ce que je vivais ou avais vécu pour en faire de la fiction. À partir du réel, l’embellir, ou du moins réinventer et fantasmer – et respecter la si juste formule d’Aragon : « Le roman, ça consiste à brouiller les cartes. »
A cela, il n’y a pas de limite.
Plongez ! Nagez !