
Il y a un moment où, à être privé d’horizon, on ne distingue plus ce qu’est le manque.
Vu autrement.
Il y a des moments où, à être tellement en manque, on ne distingue plus ce qu’est l’horizon.
C’est sans doute le principe même de l’enfermement que Karen Blixen évoquait, dans son roman « La Ferme Africaine », par le biais d’une anecdote rapportée par Denys Finch Hatton à propos des Maasaï que l’on condamnait à la prison ; faute de notion du lendemain, ils se laissaient mourir.
C’est sans doute là ce qui a sauvé – ce qui leur a permis de survivre -, au travers du monde et au travers de l’Histoire, ceux des prisonniers qui avaient, dans ce genre de bagage qui ne se porte pas au bout des bras mais qui se serre dans un coin de l’esprit, suffisamment de matière, pour tenir sans faillir, l’épreuve de la captivité.
Il y a là sans doute l’une des plus grandes injustices, ou l’un des plus grands outils de sélection, entre les êtres humains.
Lorsque l’on se considère soi-même comme privilégié et que l’on dispose d’une forme exacerbée d’altruisme, il est facile de comprendre comment, dans des sphères plus modestes, où l’imaginaire se cultive peu, voire pas du tout, l’avachissement, le renoncement soient en germe chaque matin. Et la violence sans doute aussi.
Si l’on n’a jamais eu l’idée des grands espaces, de l’horizon, du grand air, des tempêtes de vents ou de ciels bleus, la parole, le partage, l’image sur papier glacé peuvent suppléer. Mais il y manquera toujours la dimension charnelle : celle que l’on ressent par toutes les fibres et tous les sens du corps.
Y penser est comme une langue inconnue à laquelle on est sensible mais que l’on ne comprend pas.
Mais si, ayant connu ces émerveillements, on en a été privé de longs mois durant, alors les affronter de nouveau relève du choc, du sursaut et de la libération.
Y penser est comme une grande faim lancinante qu’une simple bouchée calme d’abord mais excite ensuite.
Les embruns, ces grandes orgues maritimes aux sons salés qui vous assaillent par l’ouïe, l’odorat, la vue, le goût et le toucher, sont à compter au nombre de ces manques, de ces expériences que l’on souhaite retrouver toujours.
Et samedi, ce fut chose faite.