Odyssée 2021 (#101) – « La proximité de l’Histoire »


« Et le juste restait debout, dans l’épouvante
Bleuâtre des gazons après le soleil mort :
‘‘ Alors, mettrais-tu tes genouillères en vente,
Ô Vieillard ? Pèlerin sacré ! barde d’Armor !
Pleureur des Oliviers ! main que la pitié gante ! »

« L’Homme Juste » est un poème d’Arthur Rimbaud.  Un poème bien complexe qu’il faut étudier de près pour en comprendre et l’essence et l’inspiration : « La Commune de Paris ».
Il est étonnant que les deux auteurs aient choisi ce titre pour une belle biographie de Robert Badinter, dont d’aucuns connaissent la passion pour Victor Hugo et que ces vers conspuent :
– « Ô Vieillard ? Pèlerin sacré ! barde d’Armor ! »
Pour ne pas avoir pris le parti des Communards et avoir cultivé une relative neutralité.

Mais il s’agit là sans doute d’une figure de style, d’une ellipse pour mettre en exergue la complexité du personnage : Robert Badinter, l’homme politique, des coulisses, fut, et demeure, probablement le plus intelligent de son camp.  Mais aussi le plus ambivalent, le plus ardu à cerner et à comprendre.
En notre époque de bouillie verbale, de nausées répandues en public, la pudeur, la retenue sont des antiquités que l’on peine, de peur d’être contaminé, à cultiver et à transmettre.  Au rebours de cette tendance, en un unique roman tout en délicatesse, Robert Badinter y expose ce que fut sa vie, au travers du souvenir passionnément affectueux de sa grand-mère : « Idiss ».

Si Robert Badinter fait généralement l’unanimité, à défaut le consensus, sur son rôle éminent et déterminant dans l’abolition de la peine de mort en France, il sème le trouble sur deux points :  sa proximité durable avec François Mitterrand en dépit de son rôle douteux sous la dictature illégitime de Vichy et son détricotage de la politique judiciaire et pénitentiaire.

Comment un homme, dont la vie a basculé avec les lois raciales de Philippe Pétain et Pierre Laval, qui a su, sans doute par le détail, le rôle précis de René Bousquet dans la Rafle du Vel’ d’Hiv’ du 10 juillet 1942, a pu maintenir l’équilibre d’une amitié avec François Mitterrand dont Pierre Péan, en 1994, révéla, non seulement la proximité infâme, mais le maintien de relations suivies ; mémorielles, amicales et financières, avec ces criminels.

Si l’humanisme profond de Robert Badinter, au sens d’absolu de liberté de conscience et de possibilité de rédemption, est louable de quelque parti que l’on soit, il n’en a pas moins, d’une main assez leste, posé les fondements d’un laxisme judiciaire et pénitentiaire dont nous payons aujourd’hui, lourdement, les conséquences ; à commencer par les forces de l’ordre elles-mêmes.

Cette biographie n’en reste pas moins parfaitement équilibrée et explore, sans trancher vraiment, toutes les failles et les zones d’ombre du personnage.  Les journalistes réussissent à faire valoir non seulement toute la trame de cet homme tissé des fils les plus tragiques de l’Histoire mais à montrer comme ces autres fils, ceux qu’il a lui-même tissés, conduisent aux aberrations judiciaires contemporaines.

Nous tous, faisons l’Histoire, mais peu, à l’instar de Robert Badinter, y ont autant de proximité.
Sans même ciller ; ou à peine.

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