Odyssée 2021 (#110) – « “Élucubrer” existe »

S’enfuir d’une scène pour accaparer une autre scène.  Planter-là le décor de la pièce que la panique rend impossible à jouer et se planter sur d’autres tréteaux et larguer les amarres de la raison.

Faut-il toujours être raisonnable ?  Autrement dit, devons-nous toujours, sans faillir, tenir le rôle que l’on s’est assigné ou que l’on nous assigne ?
Dans le texte issu de la pièce dont il est l’auteur, Édouard Baer livre enfin par écrit, un « livre oral écrit » comme il le définit lui-même, ses divagations.

En fait, ces paroles, cette pièce, mettent à nu les conflits internes qui nous agitent à longueur de temps.
Ces conflits internes, nourris de nos rêves cachés, de nos ambitions réfrénées, des concessions que nous faisons sans cesse pour moins de liberté et des prisons plus confortables, de l’admiration que nous inspirent nombre de héros, des peurs que nous avons de décevoir, de ne pas être à la hauteur, imposent à nos esprits une pression qui conduit soit à la soumission, soit aux élucubrations.

Les élucubrations consistent à tout ce travail, discret, sourd, qui se fait en continu dans nos esprits, dans nos rêves. Étymologiquement, « élucubrer » signifie « travailler en veille ».  Ce travail est la somme de tout ce que, à longueur de vie, nous comprimons pour jouer nos rôles convenus.
Le principe de la pièce réside dans la démonstration que toutes ces tempêtes qui nous agitent ne sont pas des maladies honteuses ; nous ne sommes pas fous, pas déraisonnables.
Nous sommes simplement des êtres de réception ; des réceptacles de tous les courants du monde, qu’ils nous traversent de part en part, laissant leurs impacts et que nous devons les absorber et, si possible, en faire une œuvre d’art.

En faire une œuvre d’art.  Nous laisser gagner par la grâce du monde : ses héros, ses lâches, ses merveilles, ses monstruosités, ses apogées, se périgées.

Ce texte lu, issu d’une pièce que l’on n’a pas forcément vue, illustré gracieusement par Stéphane Manel, montre que « larguer les amarres », sortir de ses gonds n’est pas une tare, n’est pas une insanité.  Qu’au contraire, que c’est notre part de génie, pour peu qu’elle soit investie, une plume, un pinceau, un burin, un appareil de photo à la main, d’une issue créatrice.
Si le verbe « élucubrer » existe, c’est qu’il a, qu’il y a, de bonnes déraisons.

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