
À certains moments, à certains endroits, la nature donne à la ville des mines de jungle.
Printemps : saison du défilé des beautés végétales aux contrats multiséculaires signés par le Créateur pour se produire chaque année, certes dans le même ordre mais avec des variantes, des singularités, des avantages, qui renouvellent l’attrait pour l’œil, qui chassent le blasement.
Ce ne sont pas ces merveilles qui avancent avec ordre vers le spectateur, c’est le badaud qui doit fournir l’effort, qui doit ouvrir ses sens, qui doit déployer tous les moyens d’une acuité en tension.
Toute cette jungle, cette débauche est si belle que l’on en oublie ses qualités, ses propriétés et, bien sûr, ses dangers. Le poétique l’emporte sur le contingent.
C’est le cas de ces petites fleurs blanches à l’exubérance arachnéenne qui colonisent les talus, les sous-bois et dont, de loin, on ne peut qu’apprécier la grâce. Par nuées, elles forment un si bel enchevêtrement que l’on en oublie leur vénéfice.
Cerfeuil ou ciguë ? Consommé ou saleté ? Rassasié ou empoissonné ? Hypnotique ou arsenic ?
À certains moments, il faut déciller ses yeux ; ouvrir non seulement les paupières, mais réapprendre à lire, par nous-mêmes – réacquérir la science oubliée, perdue de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs -, chaque détail de notre environnement.
Tout ce qui est beau, jusqu’à nous subjuguer, n’en n’est pas moins inoffensif. Tout ce dont nous sommes blasés, jusqu’à l’insouciance et l’indifférence, n’en recèle pas moins beaucoup de pièges et de dangers.
C’est tout un travail reconquête d’une science ancienne, de réveil d’une méfiance anesthésiée et de remusculature d’une liberté atrophiée qu’il nous reste à mener.