
Youssoufa, son texte mis en musique, choisi pour symboliser l’équipe de France et ses supporters à l’Euro de football 2021, n’est pas un hymne mais un refrain tribal.
À la première lecture, à la première audition de la bande sonore et à la première visualisation du film, ce qui interpelle, c’est la répétition de hiatus entre l’intention et la forme.
Si l’intention aurait dû être de porter, d’encourager une équipe, la forme tient, au rebours, bien plus à une scansion guerrière, autant dans la mélodie de fonds, que dans le rythme tribal et que dans les paroles.
La mélodie de fonds est composée d’un seul motif répété tout au long du « clip », selon l’appellation de la fédération Française de Football, de la « chanson » ou de l’« hymne » selon la nature du media qui l’évoque.
Un air obsessionnel de fin des temps ponctué de frappes de tambour dont le rythme s’approche de celui qui incite les guerriers à effectuer le premier pas vers l’ennemi ; un ordre de marche vers la mort en somme.
Avec un peu de générosité artistique, une aumône dans ce cas précis, la comparaison sonore pourrait se faire avec les scènes de combats du film de Stanley Kubrick, « Barry Lyndon », où les troupes, pour qu’elles convoquent leur courage, avancent au son des tambours et des fifres.
Mais Youssoupha n’est pas Kubrick.
Premier hiatus : nous ne sommes pas dans le sport, mais dans la guerre.
Sans être expert en football, on se rend bien compte que le choix du rythme rap, n’a pas grand-chose à voir avec le jeu de ballon au pied. Ni même avec l’ivresse joyeuse que tout sport, collectif en particulier, peut produire. On est dans le goût du sang ; à preuve les expressions que soulignent ce tempo : « goût d’ailleurs » contre « goût de France ».
Si un Antoine Griezmann ou un Kylian Mbappé devait conduire le ballon à ce rythme, il faudrait sans doute allonger le temps des matches et administrer des calmants aux joueurs. Ou sélectionner des tortues.
90-105 pulsations par minute, c’est le rythme du rap, une trame syncopée pour mettre en valeur le texte.
Mais le fonds de commerce sémantique du rap, ce n’est pas la glorification, la transcendance ou l’émulation, c’est la revendication. On est en plein dans le poing levé, la frappe vengeresse, le baroud identitaire ; le terme baroud n’est pas placé ici par hasard, c’est un mot d’origine berbère.
Deuxième hiatus : nous ne sommes pas dans le tempo d’un alignement des enthousiasmes, mais dans celui d’une lutte.
Guerre, lutte ; il ne manque plus que des paroles pour valider l’arrière-plan de cette antienne.
C’est à ce moment, lorsque l’on s’attache aux paroles, que l’on décèle la trame de la supercherie : le bleu.
Le mot bleu est répété trente et une fois en deux minutes. Quand on sait que les couleurs ont une signification cachée, qu’elles exercent un effet au niveau de l’inconscient, que le bleu est la couleur la plus aimée dans le monde et, entre autres, qu’il vise à souligner un dessein, une intention, un projet coopératif, on serait presque enclin à patenter l’ensemble.
La rabâcherie n’est pas anodine lorsque l’on réalise que le mot « France » ne figure qu’une seule fois dans le texte, sans compter que l’on n’y trouve aucune mention des termes : jeu, football, joueur, équipe, ensemble, franc-jeu, respect, liberté, égalité, fraternité, couleur, blanc, rouge, tricolore, drapeau, patrie. Paix ?
Lorsque l’on s’attache au détail de la forme, en le pondérant de la contrainte du style rap, on note l’usage prépondérant de l’impératif, du tutoiement, l’absence de négations, de connecteurs de pensée.
Une seule phrase est grammaticalement construite : « Je rêve que t’écris mon nom en bleu. » ; suivi d’une litanie insistante d’ordres.
On peut noter aussi la surabondance de références guerrières : défendre, lignes, armes, camp, gardé, feu, pagaille, faille, bataille, attaque, guerre.
Dans ce registre, on est loin des dribble, passe, collectif, appel, cadré, buteur, contrôle, contre ; bref, on est loin du terrain de jeu, de la filiation et du pays d’appartenance.
Troisième hiatus : nous ne sommes pas, avec cette construction et ce vocabulaire, dans la moindre métaphore collective, sportive, fraternelle, unificatrice, patriotique ; pas même dans un soupçon d’altruisme.
Notre hymne national, pour guerrier que son contenu soit, au fil de ses couplets, rappelle ce qui constitue le groupe uni que fondent, que devraient fonder, les Français et les raisons de cette union : l’émancipation de tous les jougs possibles, mais cela, collectivement, sans distinction de personnes.
Or, ici, tout n’est que distinction, étiquetage : campagnes, quartiers, blase (nom, patronyme / ndla.) lourd de sens, goût d’ailleurs, goût de France, nom sur ta liste et sur mon maillot dans le dos, bénis ou punis.
Dans notre hymne national, l’ennemi est celui qui veut contenir cet élan émancipateur, celui qui veut prendre, de force, l’ascendant sur ce qui risque de perturber sa propre situation, celui qui veut profiter, du désordre passager, pour soumettre un peuple.
Or, ici, toute l’agressivité est exprimée comme réflexive, entre frères, entre compatriotes : défendre les lignes et les frères d’armes, ça peut faire date, ceux qui ont grandi dans les flammes, pagaille pas de faille.
Et surtout, « crie mon nom en bleu ».
Mais, en cours de match, la foule entonne dans sa verve : « Allez les Bleus ! », pas « Allez untel ! ». C’est l’équipe, le collectif, toutes les parties prenantes, supporters inclus, qui sont célébrés !
Il est difficile de croire que la composition de ce texte, que la désignation de ce texte pour représenter la France, l’équipe de France, soit dues au hasard ou à la distraction. Ou alors, la bêtise, l’inconscience seraient communes ; et une perspective bien inquiétante.
Il y aurait certainement encore beaucoup à dire sur l’usage des expressions : « personne va s’écarter le camp sera gardé, chaque blase est lourd de sens, terre du milieu, ceux qui ont grandi dans les flammes n’ont pas peur du feu, une autre histoire sur les routes de l’Europe, (…) »
Cet hymne avec sa musique, cette chanson avec ses paroles ou ce clip avec ses images aménagées, n’ont rien d’une allégorie de la fraternité, de l’effort ou même de l’union sacrée.
En fait ce n’est rien de tout cela. C’est un refrain tribal, bien éloigné, égaré dans l’ensemble du texte d’ailleurs, de « l’unis, unis » prétendu sans être démontré.
Au contraire, pour prétendre à la fraternité sous le drapeau tricolore, qui ajoute le blanc et le rouge au bleu,
– « La France et le drapeau tricolore, c’est une même pensée, un même prestige, une même terreur au besoin pour nos ennemis. » – Alphonse de Lamartine
il aurait fallu aménager la phrase-témoin de l’intention séparatiste sous-jacente à ce texte :
– « Unis, unis (…) Faites vivre les rêves, qu’on s’élève qu’on soit uniques »
et l’écrire de la sorte :
– « Unis, unis, vivons un rêve, un qui, ensemble, nous élève et, un qui, ensemble, nous grandit. »