Odyssée 2021 (#158) – La constance des « Illusions »

Jean-Michel Delacomptée évoquait dans son essai : « Notre Langue Française* », notre langue pluri-centenaire, belle, riche, pleine d’amour, remplie de recherche du beau, dont l’esthétique supporte notre capacité à exprimer nos idées avec une diversité de mots précis.
À cette aune, il serait possible de corner toutes les pages d’un roman de Balzac, tant chaque paragraphe exulte la richesse, la profusion, la précision et l’étendue de nuances que permet notre langue.
Et c’est particulièrement vrai dans « Illusions Perdues** ».

– Sous la Restauration, à Angoulême, deux amis, l’un poète : Lucien Chardon et par emprunt à sa mère, de Rubempré, l’autre imprimeur : David Séchard, étranglé par l’avarice prédatrice de son père, formèrent les plus beaux desseins de carrières.
– Le premier monta à Paris, gonflé d’ambitions de réussites poétiques et littéraires aussi rapidement perdues qu’elles auront été acquises pour, progressivement, tomber dans les basses fosses d’un journalisme sans vergogne et finir dans la fange la plus épaisse du déshonneur, dans une ruine extrême qui ricochera jusqu’à David Séchard.
– David Séchard, marié à Ève, douce et vaillante sœur de Lucien, mit au point un procédé révolutionnaire de fabrication de pâte à papier à un coût défiant tous les procédés existants de l’époque.  Éreinté par des dettes que Lucien souscrivit en son nom, David devint la proie, jusqu’à la prison, de ses débiteurs qui étaient par ailleurs d’avides prédateurs de son invention.
– Pris par le drame de son beau-frère et de sa sœur dont il avait été toute la cause, écœuré de sa personne dont la conscience s’abîmait dans toutes les noirceurs humaines, Lucien, au prix des dettes de sa famille, vendit son âme à un diable déguisé en prêtre.

Autant que la permanence de la beauté de la langue, il y a dans ce volet de la « Comédie Humaine », une acuité d’analyse des jeux humains et sociaux qui frappent, non seulement par sa précision chirurgicale, mais par sa contemporanéité ; sa constance dans sa vraisemblance.
Changer l’époque et les techniques, adapter les noms au gotha actuel, ne changera pas d’une once le fonctionnement-même des personnages et du jeu social.
Il serait possible de transposer à aujourd’hui des pans entiers de cette œuvre de Balzac, sans en devoir en retoucher une virgule, tant la perfidie humaine irrigue avec une triste constance les jeux de pouvoir et d’argent.

« Il n’y a eu de logique, ni dans le gouvernement, ni chez les particuliers.  Aussi n’avez-vous plus de morale.  Aujourd’hui, chez vous, le succès est la raison suprême de toutes les actions, quelles qu’elles soient.  Le fait n’est donc plus rien en lui-même, il est tout entier dans l’idée que les autres s’en forment. »
Ces lignes pourraient figurer, sans les dénaturer, dans les pages-opinions de n’importe quelle feuille de chou actuelle.

La noirceur fut de ce monde du XIXème siècle à Paris, elle fut de tous les mondes, de toutes les villes et de toutes les sociétés qui se sont succédé sur cette planète.  Il faut avoir la force d’aller puiser dans l’Histoire, toute l’Histoire, aussi dans les Arts et dans la Littérature, pour passer, par ces lectures anciennes, de l’idéologie à la vérité.
C’est le seul privilège, incolore, que puisse se reconnaître l’intelligence.


* Éditions Fayard, 2018
** 1837-1843

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