
La conscience de vieillir est un train tortillard de l’esprit qui chemine incidemment, mais dont on préfère ignorer l’heure d’arrivée. Son tracé est bien connu, sa destination définie d’avance.
– « Terminus tout le monde descend ! » est une annonce qui, quoique, feignant de somnoler, on finira bien par entendre.
Dans le fil naïf de cette hypocrite insouciance, on espère, qu’en dehors de quelques démarches administratives, fastidieuses mais néanmoins inévitables, que personne ne vous rappellera l’imminence de la fin du voyage.
Du moins qu’il serait pertinent, compte tenu des progrès de votre degré d’usure, de songer à mieux vous équiper.
Autrement et plus roidement dit : « Vous allez péricliter alors prenez les devants ! »
Les « datas », ces petites cellules informatiques invisibles, indiscrètes et intrusives, se chargent de vous rappeler l’heure du déclin.
Grâce à une multiplicité d’informations collectées sur vous, dont ne sait d’où et par qui, à partir d’une date précise, celle où l’on a décrété que vous entriez sur la pente déclinante de la vieillesse, cinquante ans en l’occurrence, votre messagerie, vos pages de réseaux sociaux abondent de réclames sur des équipements, tous plus aguichants les uns que les autres : monte-escalier, douche aménagée, pince télescopique, protections anti-fuites urinaires. Sans oublier les images évocatrices de somptueuses conventions-obsèques.
Vous êtes repéré ! Vous recevez des « mails pre-mortem ».
Pour poursuivre la métaphore ferroviaire, c’est un peu comme si, au beau milieu d’une somnolence idyllique, carré dans le fauteuil incommode d’un train en partance pour de sublimes vacances au soleil, le contrôleur vous assenait une grande claque dans le dos et vous sommait de changer de place.
– « Madame, nous sommes ici dans le « wagon-jeunesse » ; le « wagon-cimetière » est en tête de convoi ! Vous serez ainsi en gare plus rapidement. »