
Pour faire court, si vous souhaitez une vie calme et silencieuse, il faut songer à devenir ermite, sinon, il ne reste qu’à composer avec les contingences et les promiscuités de la vie citadine. Les transports en commun sont devenus, en la matière, les lieux de test de résistance à celles-ci. Comment prendre du recul face au sans-gêne individualiste, au moi-j’emmerde-les-autres, qui se propagent dans toute la sphère collective et jusque dans sa zone d’intimité.
Une conversation gaie entre deux personnes qui voyagent n’a pas du tout le même impact invasif qu’un appel téléphonique depuis un portable. La conversation des autres voyageurs compte dans les bruits de fond usuels ; charmants même.
Mais un appel téléphonique, un monologue, ces mots sans écho, sans sens, partagés sans filtre, sans pudeur, à la cantonade, qui s’infiltrent dans le cerveau au point que vous complétez instinctivement les phrases comme si elles s’adressaient à vous : ça agace. Plus, cela énerve prodigieusement.
Cela énerve d’autant plus que, si vous envisagez de faire une remarque, de demander une inflexion de la voix, un peu de discrétion, vous devez compter sur la certitude de passer pour une aigrie, une revêche quand ce ne serait pas outrageusement une « mal baisée ».
Dans ce cas, celui d’une intervention, il faut assumer un grand moment de solitude car, personne, même le chauffeur de l’autobus censé faire respecter les « règles du savoir-voyager (ensemble) », se rangent aux abonnés absents, aux hommes invisibles.
Alors, il faut supporter, endurer, se concentrer ailleurs, se faire diversion à soi-même, se contenir : la fermer. La pression exercée par la conversation de l’autre est d’autant plus forte qu’elle heurte tous les principes de bonne éducation – française – qui vous ont été inculqués à coup de trique pour devenir une personne agréable en société. Formés dès le plus jeune âge à ce respect de l’autre, à la considération qu’il ne faut pas, par ses faits et gestes, empiéter sur le confort et la quiétude de son prochain, l’absence de réciprocité, innée du moins acquise à minima, provoque un sentiment de rejet radical. On en viendrait même à souhaiter ne jamais avoir appris aucune de ces contraintes civiles pour ne pas les identifier chez les autres.
À moins, en toute bonne logique, que ce ne soit aux autres de se réformer. Mais il s’agirait là d’un bien vaste chantier ; pharaonique même. L’éducation, la politesse, sont comme les pyramides : des ruines oubliées, comme les hiéroglyphes : indéchiffrables, comme le latin : une langue morte plus du tout enseignée.