
« Connu de Dieu »
C’est à Rudyard Kipling que l’on doit cette épitaphe inscrite sur toutes les tombes des soldats inconnus, non identifiés, des armées britanniques pendant la Première Guerre mondiale. L’idée de cet hommage particulier tient certainement au drame personnel que le Prix Nobel de 1907 a vécu dans la perte de son fils dans les combats en Artois, à Loos, en 1915. Le corps de John Kipling ne sera jamais retrouvé, et pour cause : quelques jours avant sa mort, il écrivait à son père de lui faire parvenir une nouvelle plaque d’identité militaire pour remplacer celle qui venait de perdre.
Ce petit recueil, « Tu seras un homme mon fils », publié aux Éditions des Mille et Une Nuit, porte la traduction française du titre de l’un des plus célèbres poèmes de l’écrivain anglais : « If », écrit en 1910. S’en suit toute une correspondance entre Rudyard et John de février à septembre 1915.
Autant le poème, que l’on peut bien sûr analyser de mille manières, que les missives illustrent une tendresse et une complicité réciproque entre le père et le fils. L’un et l’autre se connaissent bien, nagent dans les mêmes eaux intellectuelles et humoristiques. Bien que très centrées sur les contingences matérielles militaires, les lettres expriment une volonté de partager une communauté de présent, de ne rien rater de la vie dans toutes ses secondes ; l’avenir, dans les tranchées, étant bien incertain du lendemain.
Ces pages réunissent de bien jolies manifestations épistolaires de l’amour paternel et filial.
Pour le poème, il faudra préférer, à la traduction proposée, celle d’André Maurois :
« Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,
Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils. »
De courage, ni le père ni le fils, ne semblent en avoir jamais manqué.