
« Kalos » : beau ; « eidos » : image ; « skopein » : regarder : kaléidoscope.
Romain Gary est un kaléidoscope, une belle image à regarder. Il est bien sûr l’image d’un homme aux facettes produisant d’infinies variations de la complexité humaine, mais aussi l’image d’une France à la beauté et à la grandeur que seule une âme de chevalier comme la sienne, et celle de Charles de Gaulle, pouvait incarner.
Dans « Un certain M. Piekielny », François-Henri Désérable nous plongeait dans une demi-fiction magnifique, de Vilnius à l’Élysée sur l’enfant « Roman Kacew » :
– « Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny… »
Le récit jongle avec les différentes vérités biographiques de Romain Gary.
Avec « Monsieur Romain Gary », Kerwin Spire nous plonge au cœur des années-charnières entre deux Romain Gary : celui d’avant et celui d’après « La Promesse de l’Aube ».
Il fait merveille à retracer les années américaines du seul Prix Goncourt de ces Messieurs de la « Carrière », les diplomates du Quai d’Orsay.
Trois cents pages, non seulement érudites et documentées, mais imprégnées d’une connaissance fine, intime du fils de Nina, pour une ode émouvante à l’homme extraordinaire que fut Gary.
Kerwin Spire réussit à nous faire comprendre quel diplomate de haut vol il fut, à défendre la France, avec une passion jalouse mais lucide, dans la période troublée que fut la sécession de l’Algérie française, les indépendances africaines et la Guerre Froide, à la représenter avec pédagogie devant un public américain inculte, influençable et versatile.
Il détaille, strate par strate, la géologie de ce fortin du patriotisme tricolore : un amour viscéral et passionné de la France, de sa culture ; une reconnaissance et une admiration illimitées pour l’homme du 18 juin, le Général de Gaulle.
Au fil des lignes biographiques et des tempêtes intimes qui assaillent la raison du Consul général de France à Los Angeles, on voit se construire l’écrivain au détriment du diplomate et de son vernis social.
On voit poindre Émile Ajar, les fragilités de l’homme vieillissant, l’angoisse de la prescription imminente de la vie : la fin de validité du « ticket ».
Kerwin Spire parvient même à restituer en plusieurs endroits du récit, l’humour incisif et fataliste de Gary :
– « Le consul général prend aussitôt place à la tribune d’honneur au côté du gouverneur de la Californie (…). La manifestation est un plein succès tandis qu’en cette période de froid diplomatique sur fond de guerre d’Algérie l’amitié franco-américaine est à son sommet.
À son retour au consulat, Romain Gary n’a pas le temps d’enlever son uniforme que le téléphone sonne déjà. A bout de la ligne, un gent de publicité souhaite lui parler, de toute urgence (…) pour tourner, en uniforme et gants blancs, une publicité pour une nouvelle lotion après-rasage. »
Ce roman est une merveille au petit point compté ; du moins pour ceux qui placent la barre haut dans l’art de de peindre les portraits de Romain Gary.