Il dut y avoir un moment, après maints épisodes allant de celui de la négligence, à celui de l’infidélité pour terminer par celui de l’oubli, où n’entendant plus de pas s’approcher, où n’attendant plus aucune raison de tenir ses troupes au garde-à-vous, le sentier a décidé de se replier sur lui-même, comme un vieil amant éperdu d’amour, abandonné sur une fausse promesse de retour ; retour qui, de jour en jour, désespère et saigne, goutte par goutte, ce cœur délaissé.
Comme un vieil amant se tasse et se cache dans une épaisse coquille de solitude protectrice, le chemin, abandonné, inutile, se referme, se rabougrit sur lui-même. Il laisse prospérer de longues barbes de ronces, cède aux branches, racines et autres lianes acérées toutes les plus permissives débauches, abandonne son épiderme, autrefois si lisse, aux labours profonds des pluies et aux outrages d’une lèpre pierreuse.
Ce chemin et ses milliers de semblables ont tissé pendant des siècles une généalogie géographique aux ramifications infinies par lesquelles se reliaient quotidiennement les hommes. Ils étaient autrefois si familiers que nul n’était besoin de cartes pour leur rendre visite ; jour de marché, jour de mariage, jour de vote : chacun s’invitait sans cérémonie. Aujourd’hui, sur les cartes d’état-major, ils ne figurent plus que comme un trait distrait, souvent en pointillé, comme un cousin lointain relégué à l’arrière-plan de la photo de famille.
Oubliés, lui et ses nombreux frères, se dénomment aujourd’hui chemins noirs. Rares sont ceux qui osent encore rendre visite à ces layons miteux et délabrés, à ces mondes de mystères où chaque pas, pourtant, réveille des réminiscences d’un passé glorieux.
Guillemette Callies 