Odyssée 2021 (#234) – « Un compte très secret »

Cela aurait pu être une promenade ordinaire, l’effort minimum d’exercice physique quotidien recommandé par l’OMS. Dès lors que l’on garde l’oreille et l’œil à l’affût, les choses prennent une autre tournure.

La tournure prit la forme d’un joli chevreuil, sereinement attablé devant un coin de prairie, broutant de bon appétit une herbe jeune, tendre et grasse dont la saveur devait être particulièrement enivrante pour qu’il lui faille autant de temps pour repérer une présence intrusive et prendre, en quelques sauts aériens, la poudre d’escampette.

À peine ce cervidé aperçu, immobilité et silence s’imposèrent pour se repaître de cette image gracieuse.  Il est heureux que l’instinct soit passé de celui de chasseur à celui de photographe.  L’œil, augmenté d’un viseur, celui de la caméra plutôt que celui du fusil, donne au doigt l’ordre de mémoriser, de saisir le charme plutôt que celui d’appuyer sur la détente.

Les nécessités du cœur avant celles du ventre, le temps poétique avant le temps diététique : les nécessités d’une autre valeur donnée au temps, aux choses et aux êtres.  Le temps consacré à cette dévotion animale peut sembler futile, naïf, exagérément sentimental.  Hier un renard, aujourd’hui un chevreuil, demain un enfant ou encore un coucher de soleil flamboyant.
Ce sont simplement, chaque fois, quelques minutes épargnées à placer, avec un rendement maximum, sur un compte très secret, celui des rêves et des joies profondes, une assurance vie heureuse libérable sans frais, sans contrôle, sans démarche, à tout moment.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s