
Grand chantier de peinture à venir, grand vide à préparer maintenant. Pour réaliser ce vide, il faut les enfermer quelques jours. Qui ? Les livres.
Ils sentent bon. Le papier a une odeur chaude, tannée et pleine de poussière. Mais attention ! De la bonne, de la poussière noble.
Ils sont les éléments constitutifs du décor, par leur masse et leur volume, bien sûr, mais surtout par l’atmosphère d’intelligence humaine, de richesse en savoirs, de trésors de langage qu’ils créent.
« L’amour des livres pèse plus lourd que tout le poids du papier produit. » Il vaut le prix incalculable de la pensée de l’Homme, ces mots créés un à un au fil des siècles pour tenter d’approcher au plus fin, au plus précis, toutes les nuances de Son expérience du monde.
Attraper puis ouvrir, avant de le placer dans sa geôle de carton, le roman « Cri de la chouette » d’Hervé Bazin et lire :« On peut rarement être certain du bonheur d’autrui. La beauté, la santé, le pouvoir, la fortune et l’amour, réunis, ne le garantissent pas plus que de belles couleurs, sur une palette, ne garantissent un chef d’œuvre. »
Il est impossible d’en lire plus de celui-ci, pas plus des autres. Le temps presse.
La captivité sera de brève, quelques jours et vous reviendrez vous aligner, droits comme des i, soudés les uns aux autres dans l’ordre alphabétique de vos créateurs, arrangés par thèmes : ici la poésie, suivie du théâtre, plus loin la philosophie ; en majesté les dictionnaires.
Aux livres, inanimés, il ne manque que la capacité à connaître le bonheur qu’ils procurent. Leurs auteurs, eux, s’ils sont au Ciel et nous voient jouir de leur prose et de leurs rimes, doivent se régaler d’avoir fait si long feu après leur trépas et d’avoir garanti, par l’intercession de leurs mots, des bonheurs sans fin au fil des pages.