
Le verre est si minuscule qu’il pourrait presque servir de très joli vase dans une maison de poupées. Sa taille accentue l’apparence inoffensive de son contenu, un petit élixir aux teintes grenat bien alléchantes. L’évent sucré, acidulé de cette tromperie s’élève jusqu’aux narines qui palpitent à son contact.
S’ouvre une seconde magique où l’odorat agite les papilles qui réclament avec impatience, urgence même, leur part au délice.
Toute la délicatesse de la cerise, un velours de fruit qui renie la brutalité de son parent le kirsch, roule sur la langue en y laissant son goût puissant comme une vaguelette laisse son écume sur une plage. Les moins combatives des papilles, celles de l’acide et du sucré, sont prises d’assaut et se rendent, quand celles du salé et de l’amer sont tout bonnement balayées. Époustouflées, les premières se roulent sans retenue dans le sirupeux lascif du fruit, s’immobilisant, hésitantes une fraction de seconde, soudain éveillées par quelques incursions polissonnes de saveurs d’amande.
Le goût a de la mémoire, une mémoire éléphantesque dont la fulgurance précipite dans les sensations délicieuses d’une dégustation antérieure, une autre petite jouissance enfouie mais qui ne demande qu’à revivre, celle d’une tartelette du même fruit : la griotte. Sagement rangées en spirale dans un lit de crème vanillée légère, précieusement gardées par un chemin de ronde de pâte sablée, les billes grenat, luisantes de sirop doré, à nouveau, s’offrent à croquer, impudiques ; leur jus acidulé mêlé à la crème explose et nappe toute la bouche, du bout de la langue au palais.
Dans cette infime dose de liqueur rejaillit le souvenir de ce péché pâtissier, de la chair charnue, voluptueuse des fruits.
Quel beau cadeau, quelle belle balade en amnésie temporaire, furent ainsi offerts en fin de repas. Rien qu’à cette minute, à l’écrire, le cerveau s’agite encore et inonde d’une salive affamée et quémandeuse, un palais encore échauffé par cette réminiscence.