
Sur le chemin d’une conversion professionnelle, après une longue déroute dans ceux de l’absurde, peu à peu, au gré des cailloux blancs laissés par un Petit Poucet compatissant à ma lassitude, j’aperçois un horizon, celui de l’humain.
Tous les mercredis, je rejoins une équipe qui déploie ses talents d’imagination, la générosité de ses sourires, l’indulgence du cœur pour les Anciens, ces personnes, hommes et femmes, qui, eux, atteignent le bout du chemin de leur vie. Avec résignation.
Ce n’est pas gai une maison de retraite ou un EHPAD ; sur le papier. Mais certains s’ingénient à rendre humain ce concept péjoratif. Rendre humain, simplement, c’est œuvrer à animer, même défaillantes, toutes les ressources disponibles d’une personne ; de son intelligence à sa motricité, de son esprit à sa vivacité. C’est lui laisser un accès au réel, au tangible ; lui permettre de vivre. De surseoir à la résignation.
Aujourd’hui, quelque part dans les Hauts-de-Seine, dans le parc arboré d’un de ces enclos pour personnes âgées, c’était jour de récolte, celle du potager. Incroyablement, malhabilement sur leurs cannes, mécaniquement dans leur fauteuil, les pensionnaires étaient tous au plus haut de l’enthousiasme.
Ça discute sec, des légumes, des recettes, de trucs et astuces de jardinier. Les mots traînent et coincent parfois dans les méandres de la mémoire, mais, seuls ou avec un coup de pouce, une syllabe suggérée, ils reviennent.
Beaucoup de souvenirs s’expriment souvent joyeusement : « Revenus à la poêle avec une pointe d’ail ! »
Suit une mine gourmande. Juste un silence évocateur.
D’autres s’expriment parfois mélancoliquement : « J’avais un jardin. »
Puis plus rien. Juste un silence songeur.
Agir pour faire vivre ces paroles, ces réactions, ces émotions, rabote, ponce, jusqu’au lisse, les faiblesses apparentes, les défaillances sournoises. Le dialogue se vernit alors du brillant, certes éphémère, mais pas vain, de la joie.