
Qu’attend-on d’un professeur, quel que soit l’âge où l’on ait à suivre un enseignement ? Que celui-ci vous convainque, vous séduise, par tous les moyens de sa science de l’intérêt pour la matière qu’il a à transmettre. « Apprendre par cœur » n’est pas une expression creuse ; elle doit s’entendre comme le véritable creuset de la transmission des savoirs. Si on peut « apprendre avec le cœur », c’est, qu’implicitement, l’esprit se trompe rarement, non seulement sur la qualité de ce qui est enseigné, mais aussi sur l’éthos de l’orateur : est-il crédible ? et enfin sur la considération que l’enseignant accorde à ses sujets : leur offre-t-il l’estime nécessaire pour les hausser, les valoriser ; leur accorde-t-il le crédit de l’intelligence et du talent ?
L’enseignant peut se présenter à son auditoire bardé de tous les diplômes, lesté de toutes les thèses, les mémoires et autres doctes productions, s’il méprise l’intelligence et la capacité de ses élèves, s’il leur dénie comme une issue possible tout avenir glorieux dans sa matière, voire, s’il verbalise, avec une pincée de cynisme, sa certitude que la transmission de sa science va comme donner de la confiture aux cochons, alors le « cœur » des élèves se ferme et plus rien ne passe.
– « Vous ne serez jamais des Camus ! »
Avec une telle sentence, toute perspective, tout rêve, se trouve irrémédiablement tué dans l’œuf, autant pour la certitude que pour la simple présomption d’un infinitésimal talent dont pourrait se targuer un élève, même si, sans illusion, ce dernier a bien conscience qu’il aurait eu à en travailler chaque jour, avec acharnement, tous les aspects ; et ce, pleinement conscient de la ténuité d’un succès.
L’enseignant, avec de tels propos, enfonce le clou de son discrédit. La sentence, placée au cœur d’une science qui laisserait l’auditoire, les élèves, bouche bée parce que nourri au plus profond de son appétit de savoirs, prendrait l’allure d’une simple boutade sans atteinte au sacré qu’est l’estime de soi. La même sentence, jetée au creux d’un discours chaotique parce qu’impréparé, parcellaire parce que méprisant toute capacité d’esprit critique ou d’analyse, fallacieux parce que ne pas donner toutes les clefs d’un savoir permet d’en rester maître et de maintenir une illusoire supériorité sur les élèves, revient à une insulte, à une volonté de rabaisser, à rogner les ailes d’un oiseau désireux de s’envoler.
C’est ainsi que les professeurs dressent, entre eux-mêmes et leurs élèves, par le seul effet de leur arrogance, un mur définitivement inexpugnable. Ils se croient écoutés ; ils ne sont que poliment ignorés.