
Je ne vous dirai pas laquelle j’ai choisie ; du moins pas tout de suite. Il faut que cela vienne, l’envie de raconter ses secrets. Je ne sais pas si je suis le Petit Prince et mais je sais que vous n’êtes pas Saint-Exupéry : cela ne s’improvise pas d’offrir ses souvenirs.
Près de la ville dont je ne dirai pas le nom, j’ai passé toute mon enfance. C’est une ville vassale du soleil, il y règne en maître et les nuages passent au loin ; du moins ils essayent mais trichent quand même de temps à autres.
La ville dont je tairai le nom trône au milieu d’un paradis ; c’est une citadelle. Elle est aussi belle que lui est beau.
Escarpée, elle s’accroche de toutes ses forces au rocher abrupt, elle s’élance fière comme un homme robuste qui tient tête au vent.
Elle est veinée de ruelles qui s’enlacent autour de son cou. Sa peau est craquelée de pavés disjoints au cœur desquels prospèrent moustaches et barbes d’herbes folles. C’est son côté nature, bohême, rebelle : c’est une cité corsaire.
Elle embaume de tous les parfums mêlés des villes du sud ouvertes sur le large et où la vie se vit sur le pas de la porte, où les courants d’air s’amusent à faire tinter les perles de rideaux pudiques qui chassent les regards trop fureteurs.
Le port est souvent indolent, ne manque jamais une sieste. Les barques se parent de blanc et de rehauts bleu clair ; elles laissent les autres couleurs aux filets de pêche, aux palmiers, au linge qui sèche aux fenêtres, aux terrasses piquetées de parasols multicolores.
L’eau est si claire qu’elle laisse voir des bancs de minuscules éperlans jouant à se faufiler entre les coques et les amarres.
Sur les cartes postales, elle paraît toujours petite. Au pied de ses muraille, elle en impose. Mais, sur papier comme sur pied, le ciel et la mer, tous deux d’azur, ses indéfectibles alliés, prennent tout le regard. Dans cet écrin, elle est une pierre brute, sertie de saphirs des plus belles eaux. Leur suzerain le soleil pousse tous ses rayons ; chaque surface brille ; chaque vague devient un ruban de pierreries.
On n’y parle pas on y chuchote ; on n’y crie pas, on s’apostrophe. On se connaît toujours, même juste un peu de vue. Et si on te connaît vraiment, ton prénom résonne d’un point à un autre des ruelles, tapant et rebondissant sur les murs, les volets et les enseignes : « ma petite guillaumette ! »
Mais j’arrête ! Je crois que là, je m’aventure un peu trop loin dans les secrets. Je t’aurais bien parlé de Madame Clavel et des canistrelli mais tu vas attendre un peu. Non, vraiment, il est trop encore tôt pour aller au-delà.