Odyssée 2021 (#293) – « Trompe l’œil poétique »

Le cinéma n’a pas pour autre fonction que celle de mêler le spectateur à l’image, de le détacher de ses contingences. À cet égard, « First Cow », le dernier film de Kelly Reichardt, est un modèle du genre.

Oubliée la salle, oublié 2021 : les images de l’Oregon presque brut des premiers pionniers du début du XIXème siècle happent l’esprit sans qu’il oppose beaucoup de résistance. L’ambiance est d’abord remarquablement assurée par une photographie époustouflante : les ombres et les trouées de lumière de la forêt exubérante sont captées avec une parfaite véracité et par un son qui fait la part belle aux petits bruits d’une nature encore reine : murmures cristallins de l’eau, harmonies du vent effleurant les cordes des arbres.

Au hasard de leurs aventures respectives, « Cookie », humble cuisinier au service de trappeurs, et « King-Lu », pèlerin du monde d’origine chinoise, se lient d’amitié. Chapardant le lait de la seule vache à des miles à la ronde, les deux amassent une petite fortune avec le commerce de beignets. Pris la main dans le sac, ils doivent fuir.

Si l’histoire est belle, émaillée çà-et-là de traits d’humour, elle sert avant tout de trompe l’œil à une véritable recherche poétique. Servie par la photographie et le son, la poésie met en valeur, l’amitié, l’importance de la vie au présent en s’attardant sur les riens, les gestes du quotidien de ces pionniers éloignés de tout et privés de presque tout confort. La construction du film elle-même repose sur des va-et-vient passé-présent, mort-sommeil, violence-altruisme, grandes barges puissantes contemporaines contre frêles esquifs de l’époque.
La poésie rehausse aussi toute la relation amicale entre « Cookie » et « King-Lu » ; elle se retrouve dans leurs paroles et dans leurs gestes dont aucun n’est anodins.

Il n’y a pas de moment, en deux heures de temps, où le film lâche son spectateur. Il nous parle du passé par petites touches pudiques, ce passé de petits hommes courageux, ces petits ruisseaux de labeur qui ont nourrit le fleuve de la grande réussite américaine.

Le film rappelle ainsi que chaque homme n’est que de passage sur terre ; métaphore de l’humilité donc.

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