
– « Tu es un enfant de salaud. »
Sorj Chalandon sera poursuivi toute sa vie par la sortie rageuse de son grand-père paternel, comme il le sera par les mensonges pervers de son père engrainés dans son esprit. Devenu adulte, le dossier d’accusation entre les mains, il prend la mesure de ses activités de collabo, en uniforme allemand, jugées et condamnées en 1945.
Il place l’histoire de cette découverte, il place ces preuves et cette lutte pour la vérité en parallèle des journées du procès de Klaus Barbie en 1987. Pourquoi ? Parce que le père de Sorj Chalandon partage au moins deux choses avec « Le boucher de Lyon » : mis devant les faits, confronté à des preuves accablantes, à des récits bouleversants, il n’admettra jamais la moindre culpabilité ; même devant l’atroce récit du martyr des Enfants d’Izieu, il conservera une effroyable ombre de sourire. Aucun des deux n’affronte la vérité, ce à quoi il a participé.
Au travers de ses divers romans, Sorj Chalandon cherche une prise dans sa relation à ce père violent à laquelle s’accrocher. Dans Enfant de salaud, il l’affronte, dans la totalité de ses mensonges-fleuves. On pourrait parler de complexité du caméléon, mais ce serait attribuer des qualités d’intelligence à ce père qui n’a jamais eu la capacité de comprendre ni la nature, ni la portée de ses actes : ses activités de collabo pendant la guerre, sa pression mensongère perverse sur son fils. Jean Chalandon voulait se faire valoir ; à tout prix.
Une phrase retient particulièrement l’attention en début de roman : « change tes larmes en encre ». Sorj Chalandon romance le mensonge, celui de son père avec lequel il a vécu toute sa vie et avec lequel il vit encore, transformé en vérité, en sa vérité à lui, ce qu’il en comprend, ce qu’il peut déduire du dossier d’instruction, des pièces du procès qu’il a eus en main et des vérifications qu’il a pu opérer lui-même. Mais, au-delà de l’exposé de ces faits, persistent deux insolubles tenaces : les présomptions non élucidées des enquêteurs, l’absence d’aveux et de justification de leur auteur.
La raison du roman est donc cette inextricable confrontation avec le mal tenace qu’est le mensonge. S’il transforme sa peine en mots, Sorj Chalandon ne résout pas le mensonge, il le suppute seulement et, d’une certaine manière, il y consent. Cyniquement, les mensonges de son père le font valoir, lui permettent d’exister. C’est pour cela qu’il ne peut avoir de rancœur, il l’aime ; malgré tout.