
Les jambes commencent à être un peu raides. Le sac à dos est léger, allégé du ravitaillement. Disparus les petits sandwiches jambon-beurre-cornichons, englouties l’orange juteuse et la pomme acidulée, fondus les carrés de chocolat et avalées les pâtes de fruit au cassis.
Il commence à faire sec, la soif assèche les pensées profondes et vagabondes qui prennent normalement le pas sur l’effort du crapahuteur. L’écurie n’est pas loin, mais les chaussures pèsent comme des fers mal sertis. Le pied accroche les aspérités caillouteuses, repère mal le terrain, la fatigue gouverne.
L’œil, encore à peu près vif, scrute l’horizon court des chemins sinueux, à la recherche du but, de la fin, du repos. Après la vue rétrécie de l’escalade, après la vue sans limites des sommets, après la vue folklorique des alpages, le sous-bois feuillus anime un peu la monotonie, interpelle la lassitude. L’esprit fait semblant de ne pas savoir, mais l’œil joue les faux-amis parce qu’il sait ce qu’il faut repérer, chercher, trouver.
Alors que la descente se confirme, abonde, de plus en plus, une sorte de feuillage particulier d’un vert vif mais tendre, régulièrement distribué sur des ronces en arcs boutants. Accrochées à la pente, les lianes colonisent tous les talus.
Là, le corps, à l’alarme de la gourmandise depuis longtemps, sourdement, à l’affût, se réveille comme si toute trace d’effort s’était effacée.
Là, la première ! Ses petites sœurs alentours !
L’agilité ne regimbe pas, tout le corps part à l’assaut du petit fruit tant espéré, la framboise ; la framboise sauvage. Celle qui, à peine sucrée, potelée juste sans excès, s’offre à la main qui, malgré l’envie vorace, la détache délicatement du pédoncule. La prendre intacte.
Le parfum est si discret qu’il faut au nez une grande finesse pour en relever les notes qui rappellent une rose en pleine gloire. Il paraît que les petites bosses juteuses se nomment des drupéoles, c’est donc un petit sac rose de drupéoles que l’on porte à la bouche. Tout le palais est pris d’assaut en un instant par l’explosion acidulée qui déferle sur les papilles. Le jus ruisselle dans la bouche alors que le palais attend sa part. D’autres vont suivre, la main fait bien son travail et œuvre à une bonne récolte.
Mais la première, la première tant attendue pour repousser la fatigue loin, loin dans ses tranchées, n’a pas son pareil.