
Le pauvre homme n’avait rien demandé. Dans la précipitation, ou, plus honnêtement, la rage de ne pas louper cette rame, je m’étais jetée dans le wagon et ce fut d’écraser son noble pied qui me permit de reprendre appui et de ne pas choir. Si j’eus chu, j’eu perdu la face.
Le brave homme fit même plus, il me secourut en offrant son bras pour, de me laisser m’étaler, me permettre d’en revenir à une station gracieuse. Dans le métro ! C’est grâce à ce geste tout à fait opportun que j’aperçus dans sa poche un guide touristique vert – Michelin bien sûr – de l’Auvergne.
Le galant homme pensait sans doute en rester là, mais c’était sans escompter ma capacité à engager la conversation. Un simple merci eût été un maigre salaire à son attitude chevaleresque.
– « Ce sera sans doute plus calme en Auvergne ! »
Comme l’usage, ou plus exactement, la simplicité d’engager la conversation dans les moyens de transports collectifs s’est perdue dans les limbes de la technologies : walkman, gameboy et autres accessoires de faces d’écran, mon héros du métro, a balancé deux ou trois secondes sur le parti à prendre. Mais, il devait être de la même engeance que la mienne.
– « J’attends cela avec fiévreuse impatience. »
Il ne l’a pas dit exactement en ces termes, mais bon, il s’agit ici d’une histoire…
Lui et moi sommes ainsi partis nous promener dans toute l’Auvergne, ce qui, sur la ligne 1, juste après l’attaque de la horde à Charles de Gaulle Étoile, ne manquait pas d’à-propos. On se sentait moins sérrés tout-à-coup.
– « Vous semblez bien connaître la région ? »
Alors là, il avait ouvert la boîte à paroles. Si je connais bien l’Auvergne ? Non. Mais, je connais les bons endroits. Et comme il me semblait que je lui étais redevable – les femmes à force de vouloir l’être contre les hommes ont réussi à perdre les avantages de leur bravoure – je lui fit cadeau de mes grands coups de cœur.
– « Il y a deux choses que vous ne pouvez pas rater : aller dormir comme un baron du XIIIème siècle au château de Saint-Saturnin et, surtout, aller baguenauder sur les rives du lac Pavin. »
Je suis partie, avec lui du coup, dans un voyage sans transport, dans une narration dithyrambique, parfaitement partiale mais ô combien méritée, de ce bijou, dont le nom, francisé de l’occitan, signifie « effroyable ». Effroyable de beauté, avec sa moire irisée variant du bleu sombre au bleu turquoise. Il faut s’y promener avec lenteur, chercher les angles pour saisir ses scintillements changeants, les reflets flatteurs qu’il offre aux cieux, aux ramures des arbres, ses frissons de plaisir qui répondent aux caprices du vent.
Je ne l’ai pas dit exactement en ces termes, mais bon, il s’agit ici d’une histoire…
Je lui racontai aussi, brièvement, les quelques légendes qui tentent d’expliquer une telle beauté.
– « À laquelle croyez-vous ? »
À celle du seigneur Roupoutou qui, méprisé par une belle certainement très bêcheuse, pleura tant et tant que ses larmes inondèrent le village de Besse ; puis, pensant avoir noyé tout le monde, et aussi la bimbo en question, il se suicida.
Moi, je descendais à Tuileries. Quant à lui, pour sûr, le prochain arrêt, c’était « Pavin ».