
Ce matin, à la radio, dans les brumes du réveil, la voix sérieuse d’un patron d’un groupe d’assurance expliquait l’importance de la prise en compte des signaux faibles. Mais qu’est-ce que sont les signaux faibles ?
Ce sont des éléments, ténus, de la vie quotidienne dans son ensemble, les détails comme les grands faits, les comportements et les statistiques, qui étudiés à la fois séparément et dans leurs interactions, dans leur déclin comme dans leur essor, permettent d’anticiper une situation : une opportunité ou une menace. Ce sont des éléments de perception de l’environnement et des outils pour aller au-delà d’un premier niveau d’apparences.
À peine le pied mis dehors, ou même quelques minutes auparavant, en aérant en grand la maison, il y avait matière à percevoir. Il suffisait de tendre l’oreille et de chercher la mélodie, toujours la plus gracieuse, qui dès l’aube et même avant, chaque matin, en ville ou aux champs, donne le la de la météo du jour, de la tendance de la saison : celle du merle.
Dans le tumulte incessant de la ville, où les lumières ne s’éteignent jamais, où un halo orangeâtre colore constamment les nuits, le merle est un excellent signal du temps qu’il fait, qu’il va faire, de la qualité de l’atmosphère. Son répertoire de vocalises annonce le programme de la journée. Encore plus si un acolyte lui répond. Peut-être une joute lyrique pour les faveurs d’une belle ?
Il faut prêter intensément l’oreille, parfois très tôt, encore au cœur du froid et de la nuit, quatre heures, cinq heures, encore plus finement lorsque la circulation automobile se densifie. Ensuite, le jeu est de localiser l’artiste, pas simple en ces matins d’hiver, plongés tardivement dans l’ombre. Là, sur une antenne ; là sur le faîte d’un édifice ; là encore, perdu dans les branchages d’un arbre dénudé.
Plus la froidure est prononcée, moins son chant se fait entendre ; il se peut même qu’il se taise. Plus les températures s’approchent de celles du printemps, comme c’est le cas en ce mois de janvier, plus ses trilles sont puissants, modulés, audacieux ; ils emplissent l’espace, ils dominent presque le brouhaha de la circulation et de l’effervescence humaine.
Le merle siffle l’envahissement humain, le merle flûte à l’embrasement solaire des aurores dorées, le merle appelle sa dulcinée de toute la puissance de ses notes, le merle babille avec ses semblables pour disputer son territoire, prévenir d’un danger, signaler, peut-être un festin de miettes ou de vermisseaux dodus.
Oui, le merle est un ensemble de signaux faibles pour un sentiment fort que la Nature, la sienne et celle de tous les autres êtres vivants, garde encore des droits dans le monde qu’il partage avec nous. Il nous rappelle à notre devoir de modération, c’est en cela qu’il compte : c’est l’importance du merle.