« Flâneries 2023 » – # 14 – « Clotted cream »


Londres sait se rendre parfaite même dans ses gouttes de pluie ; elle n’en attend pas moins de ses visiteurs dont elle exige un supplément d’imagination à chaque virée. Elle renouvelle sans cesse ses habits météo pour ne pas créer d’habitudes, pour pousser à explorer plus loin que Piccadilly Circus, Tower of London et la relève de la garde. Tout s’apprécie par contrastes : à grande pluie grand réconfort, à long effort repos feutré.

Pour obéir aux caprices du jour de la belle Old Smoke, l’innovation fut d’aller croiser un bon moment sur les flots de la Tamise en direction du levant. À l’abri des radées hivernales, un gobelet de café serré entre des doigts à la recherche de chaleur, les wharfs défilent pour vanter l’originalité, l’éclectisme de la ville. Tout y est permis, comme à des enfants d’écoles primaires, qui, armés de carton, de ficelle, de papier cristal et fil de fer, créeraient un décor fantasque, sans se soucier de l’harmonie avec les autres. Aucune monotonie possible.

Débarquement en aplomb du clipper à la proue de sorcière, pour remonter ce qui ressemble à un fleuve mais qui, à ce point-là, subit les effets de la marée ; la mer n’est jamais loin en Angleterre. Commencée sous un ciel d’ardoise, la promenade remonte les quais et quelques trouées de ciel bleu ; un vent farceur chasse les plus sombres nuages. À chaque pas l’appétit, rappelant son éloignement d’avec le petit déjeuner, se creuse, une fringale tenace s’accroche à chaque pas ; il est temps de lui obéir.

Les joues rosies par la froidure, c’est avec un soulagement ouvertement exprimé, que l’on s’installe dans les fauteuils moelleux du salon doré d’un hôtel princier. « High tea » ; voilà un mot exotique pour aborder une expérience inconnue malgré les différents séjours. En prenant place, on savoure la valeur des efforts fournis pour mériter un si agréable traitement et un service impeccable. Si le goût, un palais français reste en toute circonstance exigeant, n’est pas toujours au rendez-vous, le sentiment d’être une lady, certes en jean et en baskets, survole le tout, le cérémonial vous en impose, il faut se tenir droit et bien se tenir à table. Lever avec délicatesse la flûte de cristal où dansent les bulles élégantes de la Veuve Clicquot, saisir légèrement l’anse de la tasse en porcelaine, attraper à deux doigts agiles les petits sandwiches savamment alignés. C’est à ce moment qu’avoir été bien élevé révèle toute son utilité ; et son charme.

Il y a, enfin, le moment attendu du scone, ce petit pain sucré, moelleux et tiède, que l’on va tapisser sans modération de « clotted cream », cette pâte qui en remontre au plus gras des beurres et à la plus épaisse des crèmes de ferme. Sans s’inviter, le « roi n’est pas mon cousin » s’immisce dans les pensées : que c’est agréable de se bien, d’être bien, traité. On est bien servi de tout ce que l’on a imaginé.

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