
« Lundi bleu » ou « lundi déprimé », voilà l’antienne marketing radio du début de cette journée ! Comme s’il fallait une annonce pour que cela se produise, avoir le cafard, ne pas avoir envie d’y aller ; envie de rien du tout d’ailleurs. Si on l’était ce matin, démoralisé, il paraît que c’est normal et que cela a fait l’objet d’une formule quasi-scientifique. Dommage, quand on n’aime pas et qu’on est nul en math, il est impossible de calculer la gravité de la situation dans laquelle on se trouve. À la louche, on peut estimer qu’il y a un certain nombre de jours tristes par an, certainement moins nombreux que les jours, pleinement heureux, satisfaisants ; sereins.
Par ailleurs, quoi qu’on organise, quelle que soit la qualité des évènements, cela ne se prédit et ne se commande pas. Il n’y a pas, prévu chaque soir, une case à cocher pour obtenir au réveil le moral voulu. Qui ne le voudrait pas, son moral, tous les jours au zénith ? Mais, malheureusement, nous sommes, irréversiblement, humains. À moins que la science ne le conçoive autrement. Cela pourrait arriver quand on voit, horreur absolue, que des médecins, si on peut encore les appeler ainsi, au sens hippocratique du mot, sont sur le point de mettre en service des usines d’utérus artificiels qui pourraient produire jusqu’à trente mille bébés par an.
Des bébés sur commande, sur mesure, calibrés, programmés à l’avance pour être linéaires, sans affect fluctuant, chaque jour dans un « jour jaune » : dans une humeur opposée au « lundi bleu », affichant des sourire béats et idiots de parc d’attraction pour masses grégaires. Il faut pouvoir supporter les images de cet alignement de berceaux en plexiglas immaculé : un « lebensborn » ressuscité.
Dans cette uniformité, il n’y aurait plus rien à vivre, parce que plus rien à redouter, plus rien à souffrir, plus rien à combattre, plus de force intérieure à convoquer, plus de courage à mobiliser ; n’être plus qu’un organisme, une pompe à air, un tube digestif, une force productive. L’intelligence artificielle organise, méthodiquement, pan par pan de nos gestes, de nos habitus et de notre histoire, de notre part d’animalité humanisée, la standardisation, la rigidification, la neutralisation de l’être humain.
Il faut peut-être invoquer les vers d’Albert Camus, et les crier, haut, fort, par les monts et par les plaines, par-dessus tous les toits et par tous les médias : « Au milieu des larmes, j’ai trouvé qu’il y avait en moi un sourire invincible. (…) Au milieu de l’hiver, il y avait en moi un été invincible, et cela me rend heureux ». En faire chaque matin, sa formule du jour.