
Le 19 janvier 1871, le Général Trochu rapportait en ces mots au Général Schmitz l’issue de la Bataille de Buzenval qui avait pour objet de gêner l’installation prussienne aux portes de Paris : « Nos pertes sont sérieuses ; mais, d’après le récit des prisonniers prussiens, l’ennemi en a subi de considérables. Il ne pouvait en être autrement après une lutte acharnée qui, commencée au point du jour, n’était pas encore terminée à la nuit close. C’est la première fois que l’on a pu voir, réunis sur un même champ de bataille, en rase campagne, des groupes de citoyens unis à des troupes de ligne, marchant contre un ennemi retranché dans des positions aussi difficiles ; la garde nationale de Paris partage avec l’armée l’honneur de les avoir abordées avec courage, au prix de sacrifices dont le pays leur sera reconnaissant profondément ».
Le 19 janvier 2023, des groupes de citoyens : salariés, étudiants, unis à des troupes de lignes : syndicalistes grévistes professionnels, marchaient côte à côte en pleine ville contre un ennemi embusqué dans l’hémicycle : la réforme des retraites. La capitale, vidée de ses chalands habituels restés cloîtrés là où cela leur était possible pour maintenir un semblant d’activité économique, générant des salaires, soumis à des cotisations, finançant des retraites, tournait au ralenti.
En fait, aujourd’hui, comme l’avait prévu le calendrier révolutionnaire, est le dernier jour du mois de nivôse, le jour du crible, ou jour du tamis. En iconographie, le tamis représente la chasteté : la vestale Tuccia prouva la sienne en transportant de l’eau du Tibre avec cet ustensile sans en perdre une goutte. Ici, à Paris et dans toutes les villes de France qui ont eu le bonheur d’être le théâtre de ces déambulations protestataires, il a été impossible de prouver le nombre des troupes ; ce que les uns croyaient transporter, les autorités l’ont retranché en route. Comme à chaque défilé, les uns tiennent un tamis à petit maillage, les autres à gros ; chacun démontrant ainsi son incontinence statistique.
Pour ce qui concerne l’issue et le bilan de la bataille de Buzenval, la victoire d’un jour n’eut pas de suites immédiates, sinon d’exacerber les différences de méthodes entre les partisans d’une paix négociée et les partisans de la « résistance à outrance ». Ce 19 janvier 2023, la situation est un peu semblable.
À la fin du 19 janvier 1871, « les troupes étaient harassées par douze heures de combat et par les marches des nuits précédentes employées à dérober les mouvements de concentration » ; elles ont arrêté le combat. C’est aussi ce qui s’est passé aujourd’hui avec en ligne de mire une reprise le 31 prochain, histoire de refaire les forces de leurs troupes et leurs stocks de munitions.
Mais il ne s’agit pas là de territoire à défendre, mais de conditions de travail. Là, le flot d’ennemis est inextinguible ; ils s’appellent mécanisation, robotisation, intelligence artificielle et j-ai-faim-je-travaillerais-là-où-et-quand-tu-ne-voudras-pas. Les pertes seront considérables. Ces deux tamis-là seront sans pitié ; ils ne laisseront passer aucun clampin. De ce sacrifice, les patrons et les ventre-creux du monde entier leur seront reconnaissants profondément.