
Travail réalisé en atelier d’écriture avec des compagnons de la nuit, ceux qui n’ont pas forcément d’abri. « Je ne sais plus comment cette fâcherie a commencé. » en fut la proposition.
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Les fâcheries, les colères, on ne se souvient, presque, jamais de ce qui les a déclenchées. On s’emmêles les pinceaux, on réorganise les scénarios, les gestes, les mots. Après une bonne, une vraie engueulade, on est tellement secoué, fatigué, que peu importe le début, que l’on soit vainqueur ou vaincu, on cherche d’abord à s’en remettre.
Pour bien faire, il faudrait embaucher un inspecteur qui mènerait une enquête poussée, conduirait un interrogatoire ferme, peut-être avec l’aide d’un détecteur de mensonges, pour reconstituer, sans parti pris, factuellement, le déroulement du mélodrame et attribuer justement les responsabilités du crescendo à chacun des protagonistes.
Le mieux après une joute verbale bien sonore, c’est d’aller faire un tour ou de demander à l’autre d’aller faire un tour. Il est aussi possible d’essayer d’ouvrir un livre ; essayer est le mot, parce que, complètement électrisé, ce sera un défi de seulement déchiffrer une ligne. Il y a aussi le paquet de biscuits ; ceux au chocolats sont extrêmement efficaces. Une autre solution est de poursuivre, d’aller jusqu’au bout de l’effort, de prendre le volant de sa voiture et d’enguirlander les autres automobilistes, pour rien, pour un virage, un freinage, un clignotant absent. C’est une autre forme de partage, une sorte de répartition arbitraire, injuste donc, de la charge nerveuse.
Mais, le mieux, c’est de se trouver complètement con, de jouer les circonstances atténuantes et d’aller, la tête un peu basse mais pas trop, demander pardon. L’autre en face est dans le même état, évalue la situation de la même manière. C’est un peu comme prendre une aiguille, piquer la peau tendue de la baudruche et la faire éclater. Faire cesser la montée en pression et le glissement vers la dépression, le repli sur soi, la blessure hémorragique, la fracture irréductible. Et, de finir par mal commencer, une accolade et deux baisers, avec un peu de chance, tout cela commencera par bien finir.