« Flâneries 2023 » – # 34 – « Lecture dissimulée »


S’il s’était agi d’un roman érotique, pornographique, sans doute aurait-il fallu en masquer le titre comme je l’ai fait pour ce roman ô combien dangereux : « Les versets sataniques » de Salman Rushdie. Il aurait été impossible, provocateur, suicidaire, de le manipuler dans les transports, sur le guéridon d’un bistrot, à la vue de tous et surtout à celle d’un hypothétique illuminé. C’est une curieuse expérience que celle de la lecture dissimulée, secrète ou encore conspiratrice. Dissimulée pour palier le danger ; secrète mais pas invisible, un rien bravache ; conspiratrice parce qu’émaillée du sentiment d’abonder dans le sens de l’auteur, celui de la liberté de penser et de pensée, de leur libre expression, de la possibilité d’interroger les dogmes les plus établis et de celui de défier la sentence.

1988. Trente-cinq ans déjà que ce livre est paru. Trente-cinq ans qu’il a provoqué des réactions, une violence, des condamnations et menaces de mort irrationnelles. Quelques mois seulement, où l’écrivain a été poignardé une dizaine de fois dans l’état de New York, par un homme âgé de vingt-quatre ans, donc pas né à l’époque de la parution du livre. Ce jeune Américain d’origine libanaise a-t-il seulement lu le livre ? Ou lui a-t-on bourré l’esprit d’idées bonnes à haïr et apprêtées pour tuer pour qu’il commette ce crime salué par les autorités de certains États terroristes.

Traduit en français, certainement très mal puisque le texte d’origine est imprégné de sabir anglo-indien, d’idiomes difficiles à transposer, « Les versets sataniques » ne sont pas accessibles au premier venu, même à un lecteur confirmé. Il faut sans cesse aller vérifier les sources religieuses et historiques, la logique des faits et décortiquer les enjeux personnels de l’auteur pour pouvoir soutenir une lecture intelligible. Cependant, ce qui prédomine, c’est le sentiment de comédie, de farce, de dérision ; on sent l’exploration, l’exploitation de toutes les failles du dogme religieux. Cet humour incisif place un coin, donne du jeu aux croyances aveugles, apporte de l’air à une Tradition qui refuse de se mettre en question même quand les penseurs les plus doctes y apportent des connaissances nouvelles et avérées.

Lire « Les versets sataniques » n’a été agréable ni sur le fonds ni pour la forme. La structure en quinconce du récit, alternant les points de vue narratifs et les voix, rend la lecture pénible, fatigante. Mais une chose est certaine, on y célèbre le droit au doute, on y comprend l’irrationalité de la violence à l’encontre de son auteur, on en déduit la fragilité théologique, spirituelle, des meneurs de foule.

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