Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. C’est ce que se sont dit les trois joueuses de scrabble d’un ton las, désabusé par des tirages de lettres qui n’offrent qu’une misère de mots à composer et rabattent toute ambition de marquer des points. Les trois femmes écarquillent les yeux à chaque pioche : « Oh non, qu’est-ce que je vais pouvoir faire de cela ? »
Une campagne de triche générale est décrétée : tous les dictionnaires sont appelés en renfort et toutes les applications de smartphone sont en action. Aller piocher dans le papier, faire cracher les octets des mots de deux, trois, quatre et plus de lettres ; tout est bon pour percer les lignes de ce mauvais sort installé.
Tombe « bastin », mot inconnu au bataillon mais suggéré par le dictionnaire officiel du Scrabble, mot qui voit l’accès au plateau rendu possible grâce à la pioche des deux voyelles qui avaient fait défaut jusque-là.
Ce mot n’a pas fait surface par hasard. Il signifie : cordage pouvant flotter. Mais pas longtemps, puisqu’impossible, verticalement comme horizontalement, de le placer. Pas la moindre possibilité de raccord avec ceux déjà placés. Pas le moindre « ne », « en », « bu » ; rien à faire, pas même créer un pluriel.
Cruel bastin ! Espoir de courte durée ! Sabordons donc gaiement cette maudite partie ! La noyade sera totale, longue et douloureuse, mais elle sera collective et surtout entre amies.
Guillemette Callies 