« Flâneries 2023 » – # 41 – « Gary, où on ne l’attend pas »


Le visage sculpté de Romain Gary, ceint d’un bandeau de berger arabe, assis au bord d’une route désertique : on est loin de l’image de l’aviateur à l’uniforme impeccable ou de l’ambassadeur en costume trois pièces. Pourtant, au fil de cette petite centaine de pages qui forment un récit de voyage, c’est dans cette épure de lui-même que se révèle toute l’élégance de son écriture. Romain Gary l’explique très bien : « Jamais encore je n’avais éprouvé à ce point le sentiment de n’être personne, c’est-à-dire d’être enfin quelqu’un. »

Djibouti, le Yémen ; Romain Gary parcourt des contrées en bascule entre le rêve aventurier d’un Lawrence d’Arabie, zénith de la colonisation européenne, et la réalité de la lente désagrégation d’un monde très frugal auquel la modernité fait perdre ses repères. Chaque mot résonne de la nostalgie d’une présence française, qui bien que dominatrice, était empreinte d’une certaine noblesse chevaleresque, celle qui va au secours du plus faible et du plus démuni. Chaque mot grave dans l’esprit du lecteur, le sentiment de l’éphémère de presque toutes les vanités humaines : ses conquêtes, ses combats, ses réalisations ; presque toutes, sauf ses gestes nourris des sentiments les plus généreux.

« Mais c’est dans le regard d’une petite fille que j’ai rencontré vraiment ce qui reste des millénaires, des royaumes et des empires : l’indéfinissable survie d’un éphémère qui venait vers moi des temps les plus anciens, … » L’éphémère est la matière, ce à quoi l’homme, rageux, accorde tant d’importance, qui cependant s’effrite comme la roche par le travail du vent, mais sur lequel, au fond, il n’a aucune prise, sinon les vains efforts de toute une vie. Reste la « souveraineté » humaine, ce sacré enchâssé en chaque homme, cet inaccessible, cet inexpugnable royaume qui se transmet par le sang, d’âme en âme.

Romain Gary, en même temps qu’il en rédige le testament, compose l’éthopée d’un monde qui s’efface et qui, débarrassé de ses facettes les plus sombres, n’évoque plus que les meilleurs saveurs de l’esprit d’aventure et du courage de ses acteurs : sa légende.

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