
Il faut certainement se replonger dans les romans anciens comme « L’Auberge de l’Ange-gardien » de la Comtesse de Ségur, aller admirer des œuvres comme le « Déjeuner d’huîtres » ou le « Déjeuner de jambon » de Jean-François de Troy, pour comprendre le sens, vraisemblablement très oublié, de l’expression « faire bombance ». Quelle évocation que celle-ci !
Le chapitre XXVII de « L’Auberge de l’Ange-gardien » est justement consacré à ces sommets de la gourmandise, de l’amour de la bonne chère et de la Gastronomie ! Il faut énumérer les différents mets servis aux noces d’Elfy et de Moutier :
– « Potages : bisque aux écrevisses ! potage à la tortue !
– Turbot sauce crevette ! saumon sauce impériale ! filets de chevreuil sauce madère !
– Ailes de perdreaux aux truffes !
– Volailles à la suprême !
– Faisans rôtis ! coqs de bruyère ! gelinottes !
– Jambons de marcassin ! homards en salade !
– Le tour des légumes arriva enfin : les petits pois, les haricots verts, les artichauts farcis,
– Vinrent les crèmes fouettées, non fouettées, glacées, prises, tournées. Puis les pâtisseries, babas, monts-blancs, saint-honoré, talmouses, croquembouches,
– Après les glaces de diverses espèces, les ananas, les fruits de toutes saisons, les bonbons et autres friandises
– On avait déjà servi du madère, du bordeaux-laffite, du bourgogne, du vin du Rhin »
C’est un déjeuner hors mesure, une grande entorse à la tempérance ordinaire, qui a fait surgir ces références, ces images de l’art de manger, de se régaler que les injonctions de l’OMS – organisation mondiale de la souffrance – ont fait péricliter. Vient à l’esprit la scène d’anthologie du film « Le festin de Babette » où Stéphane Audran, alias Babette, fait œuvre de magie devant un fourneau perdu au fin fond de l’austère Jutland danois : « blinis Demidoff, cailles en sarcophage ». Que de fumets, de saveurs pour saliver en rêve.
Sortir le grand jeu, la belle vaisselle, s’en mettre plein la panse, se délecter, se lécher les babines, se frotter le ventre. Dans « bombance », il y a le mot « bombarde », machine de guerre destinée à lancer des pierres ou sorte de trompette. Il y a bien là, dans « bombance » une notion guerrière, celle de l’appétit, celle de la délectation, celle de l’excès, du faste, de l’absence de retenue et de limites. Il y a dans « bombance » deux notions, vitamines essentielle de la vie, d’une vie qui vaut la peine : celle de plaisir et celle du lien dont Edmond Saillant, dit Curnonsky, disait : « Chez nous, la gastronomie est vraiment une religion dans le grand et noble sens latin de ce mot reliogio, c’est-à-dire : un lien entre les hommes. »
Plaisir, lien : peut-être des principes à retisser d’urgence.