« Flâneries 2023 » – # 46 – « Lettres intimes »


Notre langue, le Français, au XXIème siècle est-il devenu si pauvre, sa syntaxe si simplexe, que l’abord d’un recueil épistolaire des XVIème-XVIIème siècle puisse en revenir à de l’archéologie ? C’est ce que plonger dans la lecture des « Lettres intimes » de Saint François de Sales provoque comme questionnement. Au fil des pages pourtant, l’esprit s’habitue à cette richesse, à cette organisation de la pensée par la phrase que nous avons bien perdue.

Je chévirai de cet ouvrage : je viendrai à bout de ce florilège de missives anciennes, toutes témoignant d’une authentique amitié, temporelle autant que spirituelle, pour leurs destinataires. Il s’agit bien là d’une autre époque, temps des vies silencieuses, industrieuses, des voyages rares et périlleux, des quotidiens laborieux et ardus, des santés précaires et malmenées par défaut de connaissances et de science. Une époque où justement la rareté donnait du prix à toute chose et d’abord aux liens humains.
Évêque, Saint François de Sales, eut pourtant une vie où la rencontre, particulièrement en ces heures de grandes confrontations religieuses, était le noyau de sa mission. C’est encore par la découverte d’un mot inconnu, Philotée : groupe de disciples autour d’un père spirituel, que cette archéologie littéraire prend une importance particulière, celle de la compréhension de l’Histoire au-delà des dates et des faits, dans le cœur même des interactions entre les hommes selon leurs fonctions et leur sexe.

Ces « Lettres intimes » ne sont rien moins qu’une somme de conduite des âmes, une anticipation de la psychologie, de la psychanalyse et du gouvernement intellectuel et spirituel des hommes. La pensée salésienne précède de quatre siècles la notion de bienveillance si en vogue aujourd’hui : elle place l’humilité, la constance et la persévérance comme les rouages essentiels du compagnonnage, du service aux autres.

Il précise en ces termes, à son propre endroit comme à celui de sa Philotée, dont la Sainte Jeanne de Chantal, son estime pour ses semblables : « Et je sais bien qu’il n’y a nulle si mauvaise pièce au monde qui ne soit utile à quelque chose ; mais il faut lui trouver son usage et son lieu. » Tous, nous, sommes utiles au fonctionnement du monde, pourvu que nous trouvions notre vocation.

C’est ce qu’au fil des pages, directeur spirituel, mentor également, il s’efforce de développer dans un style autant juridique, puisqu’il était aussi sénateur de Savoie, qu’ordinaire. Il s’est abouché avec tous les styles de personnages, du roi Henri IV aux bornés Huguenots de Genève, du Pape à la plus simple de ses ouailles. Pédagogue, il aligne une grande quantité de « petites chosettes », des conseils autant adossés aux Écritures et aux grands traités qu’illustrés d’exemples et de métaphores empruntés au quotidien.

Un mot, inventé par lui, pour s’adresser à ses plus fidèles amis, retient l’attention : « mon arch’intime » ; mon archi-intime, mon grand ami. Cette douceur particulière, même dans les passages théoriques ou instructifs, imprègne toutes les lignes de ces lettres qui fondent ce que l’on appelle l’esprit salésien.

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