
Concert parisien ou concert au milieu d’un bayou ? XVIIème ou XXIème siècle ? Difficile de se situer. D’autant que, sur une musique bien entraînante, on devine plus qu’on ne comprend clairement le sens des paroles chantées dans une langue française dont seuls quelques mots ressemblent encore à ceux que nous utilisons aujourd’hui. Ce serait comme une réminiscence de quelque chose d’affectueux avec lequel on a vécu constamment dans un passé lointain, mais dont, faute de pratique, on a perdu l’essence.
Le trio qui usait de ce vocabulaire et de ces formulations désuets, anachroniques, aux accords et aux rythmes d’une guitare, d’une contrebasse, d’un accordéon et d’un violon parlait cajun, plus justement cadien, langue de nos cousins américains, les Louisianais. Mélange d’accents poitevins, saintongeais, bretons, normands et finalement, l’Histoire l’explique, créoles. Tout une sonorité libérée de ses carcans généalogiques, académiques qui, note par note, emporte loin, dans les bayous, là où la mousse espagnole, dorée, arachnéenne, se déploie le long des branches, comme un tulle léger se balançant au vent.
La musique détend, délasse, impose son tempo et incite à se balancer, à chalouper, à se déhancher, à danser, un peu la gigue, un peu la maraichine. Tout à coup, on « laisse le bon temps rouler ». Quelle belle expression ! Eddy Mitchell, loin d’être un rockeur ordinaire et superficiel, l’a reprise dans une chanson éponyme :
Comme disent nos cousins de Louisiane
Laisse le bon temps rouler
Le bon temps rouler
Fais vibrer ton cœur et ton âme
Sera sauvée
Laisse le bon temps rouler, rouler, rouler, rouler
Le temps du spectacle, aux jeux de cordes facétieux de la guitare, de la contrebasse, de l’accordéon et du violon, le voyage s’est accompli dans l’espace et dans le temps. Sur un couplet, les spectateurs ont frappé des mains, ont balancé leurs corps, ont dansé avec un enthousiasme crescendo, ils ont laissé le bon temps, le bon vieux temps cajun, rouler, faire vibrer leur cœur et leur âme.