« Flâneries 2023 » – # 51 – « Cela ne s’explique pas »


Il y a dans l’Art : la musique, la sculpture, la peinture, l’indicible de l’âme humaine. Les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieur n’ornèrent pas leurs grottes ou leurs abris sous roche de simples dessins. Ils initièrent une magie, celle du flux qui meut le souffle, la main et les conduit à produire bien plus que des sons, à tracer bien plus que des lignes, à modeler bien plus que des formes. Ils créèrent la représentation sensible du monde.

L’œuvre d’un artiste, âme unique, résonnera à une autre, à d’autres, âme unique. Cette résonance entre deux ou plusieurs âmes, que n’atténue ni le temps ni la distance, que ne freine ni l’absence de liens ni la distance culturelle, est donc une magie parfaitement mystérieuse. Une petite séquence vidéo de l’exposition Monet-Mitchell donne un début, une possibilité d’explication. Les personnes intellectuelles, matérialistes, perdent l’acuité qu’ont notamment les enfants pour saisir et capter ce qui vient du dehors. Ressentir une œuvre d’art retient cette hypothèse : l’acuité n’est pas seulement la faculté physique de voir, mais aussi celle de capter l’essence sensible d’une main créatrice, de se retrouver en elle.
Cela rappelle une réplique dans le film « Le petit homme » de Jodie Foster. Un enfant surdoué, placé devant une toile de Vincent Van Gogh, explique la seule des iris de couleur blanche au milieu de dizaines d’autres de couleur violette. Alors que l’adulte rationnel s’en interroge, l’enfant répond sans peine : « parce qu’il se sentait extrêmement seul ».

Cette compréhension ou cet hermétisme, ce dialogue ou ce mutisme, s’éprouve devant toute œuvre. Certaines résonnent, d’autres pas. Confronter dans des salles au murs blanc immaculé, le travail de Claude Monet et Joan Mitchell, sollicite cette acuité, cette capacité de perception d’une sensibilité, même étrangère, cette résonnance involontaire entre deux âmes que, seulement en apparence, tout sépare et tout distingue. Là, devant « Les iris jaunes », le triptyque de « L’Agapanthe », une attraction s’opère. « River » de Joan Mitchell voisine avec « Nymphéas » de Claude Monet ; ni l’une ni l’autre toile ne font écho. Le flux, le fluide, passe ou ne passe pas. « Les iris jaunes » ouvre une fenêtre sur une âme, « River » et « Nymphéas » mettent un volet. Cela ne s’explique pas.
« Les iris jaunes » : le ciel semble leur offrir sa lumière, un vent tout juste perceptible leur donne du mouvement, suggère une oscillation douce, naturelle. L’échange a lieu. Cette vision-là, cette impression peinte directement en prise avec la nature, la fugacité de sa beauté, épouse une unique, individuelle, représentation sensible du monde. Deux émotions, deux âmes, sans concertation, se parlent et se répondent.

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