
Le vendredi qui précède un départ en vacances est toujours une journée épique pour ceux qui travaillent. Professionnellement, c’est une ligne de crête entre la volonté d’être parfaitement à jour à la minute d’éteindre son ordinateur et la nécessité de couper court. Physiquement, le corps, avertit par le mental, hybride, change sa source d’approvisionnement en combustible ; de branché à un générateur externe : le travail, il passe en mode circuit fermé, s’alimentant d’une énergie inépuisable : le plaisir. Logistiquement, il y a un tiraillement entre ne penser qu’à la valise sans se soucier de tous les passifs : professionnels, domestiques et chercher une forme de perfection, une préparation à ce point équilibrée qu’elle prévoit tous les détails du voyage sans négliger de laisser derrière soi un bureau vide, une maison à l’équerre.
Cela rappelle une petite phrase, peut-être mémorisée d’un dialogue de film ou fréquentes dans la bouche de proches dubitatifs devant cette frénésie ménagère de dernière minute : « comme ça, oui, c’est bien de faire le ménage pour les cambrioleurs ». Bien peu prospectiviste comme sentence ! L’art des vacances est un avant-pendant-après.
L’imagination et la préparation avant, une jouissance pendant, un bénéfice prolongé, même brièvement, après. À quelques éléments près, ces éléments tactiques s’apparentent au scénario érotique idéal ; ils s’en partagent surtout une stratégie générale du plaisir ou encore, à peu de frais comment engranger beaucoup.
La stratégie générale du plaisir demande en amont beaucoup d’anticipation, qui elle-même se nourrit de l’imagination, de l’idée que l’on se fait du futur bon moment à construire. Ce futur bon moment inclut également ses suites : faire fructifier l’acquis du repos et de la détente, créer une épargne à rendement régulier que ne doit pas entamer le retour à la vie réelle, au boulot.
Alors, le vendredi, veille de départ est une veillée d’armes où l’on fait le maximum pour se débarrasser de tous les arriérés professionnels et domestiques qui pourraient nourrir des regrets, voire des remords. L’esprit des vacances doit être léger, concentré sur des contingences d’une nature complètement autre : le meilleur endroit sur la plage, l’endroit sympa où aller boire un verre. Il doit donner tout son sens au mot vagabonder, passer d’une chose à une autre, sans s’y attacher, n’en conserver que l’impression d’aisance, comme d’une femme dont on délace un corset trop serré. On ne fait pas tout cela pour les cambrioleurs, on fait cela justement pour ne pas être dépouillé trop vite au retour.