
Le moins que l’on puisse dire à propos du cinéma actuel, sans oser écrire Septième Art, c’est qu’il se concentre majoritairement, pour ne pas dire exclusivement, sur les bas-fonds des travers humains. Certes, il raconte encore souvent des histoires, mais rarement pour hausser notre humanité. Au contraire, il nous aspire vers le pire, il nous donne à sombrer dans nos dépressions, il nous entraîne dans la complaisance avec le mal. « The Whale », à cet égard, est une illustration de la tendance.
Synopsis : Charlie, homme d’âge mûr pesant 272 kilos, essaie de renouer avec sa fille de dix-sept ans. Ils se sont séparés, depuis que le père a abandonné sa famille pour son amant. Depuis la mort de ce dernier, Charlie souffre du syndrome d’hyperphagie incontrôlée en raison de son état dépressif.
Cet homme, professeur bienveillant et parfaitement cultivé, se tourne résolument vers la solution du suicide par l’alimentation, l’hyperphagie incontrôlée ; à aucun moment du film, une autre issue n’est proposée. Seule la mort, comme celle du Christ, pourra effacer ses erreurs, conduire au pardon et à la salvation de sa fille ; ainsi, tout le monde serait Christ. Pourtant le Christ a guéri et sauvé ses semblables, résisté lui-même à la tentation de la mort, avant d’être crucifié. Rien de ce qui l’entoure, pas même sa progéniture, ne semble offrir de main courante pour un sursaut de vie, de prise pour s’y maintenir. Non, il lui faut mourir.
« People are amazing », « I’m worried that she’s frorgotten what an amazing person she is », “I need to know that I have done one thing right in my life » : il y a une distortion tragique entre le regard indulgent, voire optimiste, de Michael sur toute une série de facettes de la vie et des individus et sa volonté de mettre fin à la sienne, à la sienne avec les autres. Comme si la mort était la seule issue à la souffrance, comme si les proches, ceux que l’on prétend aimer, ceux à qui l’on répète vouloir leur bien, ne pouvaient prétendre à inverser le cours mortifère du destin que l’on se construit.
Il y a là une éloge du mépris des autres, du rejet de la solidarité et de la compassion humaine, de la destruction de sa vie comme une fin enviable. Si tu ne peux pas te sauver, t’amender, alors disparaît. Ne pas se soigner soi-même, se condamner ; ne pas soigner les autres, les condamner : emporter tout le monde dans son drame.
Ce film, comme tant d’autres, aux États-Unis comme en France, plus qu’aucune doctrine religieuse, condamne les hommes au désespoir, à l’expiation, jusqu’au sacrifice ultime, des fautes. D’ailleurs, ici, assez curieusement quand on connaît un peu l’actuelle idéologie ambiante américaine, l’exposé de l’homosexualité du personnage principal, assumée après un mariage classique dont est issue Ellie, l’adolescente, met en vis-à-vis les choix personnels et la responsabilité, soit la gestion de l’égoïsme. Qu’est-ce qui a le plus d’importance : son orientation sexuelle ou son devoir en tant que père ? Doit-on sacrifier une enfant à ses désirs, même à ses sentiments ?
La question n’est pas seulement posée dans le film, elle est posée à toute la société, toutes les sociétés qui, par excès d’individualisme, d’égocentrisme et d’hédonisme, sacrifient tout, même leurs enfants, sur l’hôtel de leur bon plaisir. Ce film, comme tant d’autres, ne fait rien moins que d’illustrer les travers et les perversions d’une société occidentale décadente qui se donne tous les droits et toutes les justifications sous couvert d’amour.
Michael, présenté comme victime souffrante, n’est en réalité que l’un de ses multiples démolisseurs.