
Deux euros et cinquante centimes. C’est le prix qu’il a fallu débourser pour cette somme de savoirs, ces heures de travail, ces kilomètres de notes à une époque qui n’envisageait rien d’autre que l’atmosphère parcheminée des bibliothèques et la marque du labeur, à l’index droit ou gauche : la bosse de l’écrivain. Combien d’aller-retour de la plume entre l’encrier et la feuille a-t-il fallu pour produire ce « Dictionnaire étymologique de la langue française » ?
Deux minutes de fouilles dans le bac « dictionnaires ». C’est le temps qui a été nécessaire pour exhumer ce trésor et le nom abrégé de son auteur au prénom : L. Clédat pour Léon Clédat ; inconnu, jusque-là. Pourtant, cet homme est une sommité lyonnaise, professeur de Littérature médiévale, philologue célèbre en son temps : la fin du XIXème siècle, le début du XXème siècle.
Grâce à lui, à son « Dictionnaire étymologique de la langue française », se redécouvrent les racines de quelques mots, si utilisés, si dévoyés, qu’on en a oublié l’essence, la généalogie. Comme « noble », que Léon Clédat associe à la famille de « connaître », « cognoscere », « gnoscere », « noscere » et « notum » en latin, bas-latin, latin de cuisine et tous ses dérivés. « Noble », en latin « nobilem » : qui peut être connu, qui est digne d’être connu.
C’est toute l’intérêt de ces quêtes de trésors encyclopédiques, des investigations secondaires qu’elles suscitent, même pour un seul mot retrouvé, pour une seule lignée étymologique reconstituée. Vive les recherches en lignes, quand même : retrouvé le portrait, sourcilleux, de cette homme de Lettres ! Il semble, sur la photographie, dans son regard direct, pénétrant presque défiant, y avoir une pointe gueularde : « alors, hein ! mon travail : ce n’est pas de la pacotille ! Prenez en soin ! »
Oui, Monsieur l’Académicien des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, il en sera pris soin. Déjà enlevé à l’oubli ou sauvé du pilon, manipulé par des mains précautionneuses, consulté par un esprit aristocratique, votre « Dictionnaire étymologique de la langue française » peut à nouveau être connu, reconnu, parce qu’il en est digne, parce qu’ainsi il est noble. Quelques pages plus loin, à la lettre m, il y a le mot « mérite » : qui s’est acquitté de ses fonctions ! À cent ans d’écart, oui : elles vous paient encore.