
Ce trail en forêt de Fontainebleau fut, esthétiquement, l’un des plus jolis parcours qu’il puisse être donné de courir, dans les frémissements du printemps. Peut-être aurait-il fallu compter les jeunes pousses, les premiers pétales blancs, les jonquilles sauvages ? Peut-être cela aurait-il distrait la chappe de tension qui a comprimé les poumons, toute la cage thoracique, les trois-quarts des vingt-trois kilomètres de sentiers à parcourir. Il n’est pas certain qu’essayer de courir plus vite eût permis d’évaporer toute cette masse chimique et oppressante dans l’atmosphère. Alors, il fallut faire avec ; ahaner. Et s’arrêter une seconde, substituer la marche rapide à la course, pour donner le change, donner de l’air, reprendre souffle.
Oh, il n’y aurait pas eu d’abandon ; une fierté qui fouette quand même et, surtout, un moteur que celui de la rage de toutes les heures d’entraînement qui auraient sombré avec un tel naufrage. « Avance, avance ! », antienne de toutes les parties du corps qui, elles, fonctionnaient parfaitement et voulaient y aller ; « j’étouffe », clameur du thorax brimé par tout cet air qui s’accumulait et ne pouvait pas sortir. Rafales avant, rafales arrière.
Il y eut, soudain, cette voix masculine, sortie du coffre d’un coureur tout de jaune vêtu : « On finit ensemble ! » Dans mon sillage, il avait dû flairer le combat entre des forces contraires, un pugilat intérieur et décider, par cette simple phrase, d’y opposer une force supérieure : la sienne. La bascule entre une lutte intime épuisante et un élan libérateur ne dura que quelques secondes ; la donne en fut transformée. Ce ne fut plus, d’un coup, la même course ; d’une phrase, toute pesanteur fut balayée. C’est ainsi que, trois kilomètres durant, après le dernier tour de stade, pour un corps libéré, jamais ligne d’arrivée ne fut autant appréciée.