
Une heure quarante-huit minutes, ce fut la durée de la conférence de Wannsee, le 20 janvier 1942, et c’est celle du film « La Conférence » qui en recompose fictivement le contenu et le verbatim. Dans ce huis-clos, ayant pour décor une villa cossue de la banlieue de Berlin, quinze dignitaires représentant l’ensemble des fonctions opérationnelles militaires, juridiques, diplomatiques et civiles du régime nazi mis en place par Adolf Hitler, s’accordent sur le principe et les modalités génériques de la « solution finale » pour les onze millions de juifs recensés dans l’espace géographique européen. Il s’agissait plus exactement d’obtenir de tous ces services, la reconnaissance de toute autorité sur cette question aux SS de Reinhard Heydrich, puisque les déportations et les meurtres de masses avaient déjà largement commencé dans les États Baltes.
« C’était une atmosphère officielle, mais néanmoins, ce n’était pas l’une de ces affaires rigides, formelles, officielles où chacun parle à son tour. » C’est en ces mots laconiques qu’Adolf Eichmann commente le procès-verbal dont il a lui-même supervisé la rédaction, selon les instructions claires et très restrictives de Reinhard Heydrich.
« Ainsi, nul ne pourra dire qu’il ne savait pas… » Le film est glaçant du début jusqu’à la fin. Glaçant parce qu’aucun des protagonistes ne parle vraiment d’hommes, de femmes et d’enfants, mais bien plutôt d’unités. Même les remarques arithmétiques portant sur le rendement et les avantages comparés des exécutions par balles et par gazage, ne résisteront pas longtemps devant le gain d’efficacité brandi fièrement par Adolf Eichmann. À cette conférence, on parle de coûts comparés entre les différentes solutions d’extermination possibles, de gains sur les confiscations de bien et du seuil de proportion de sang aryen qui permettra d’échapper au meurtre de masse. « Réifier » est le verbe qui vient à l’esprit au fil du développement des discussions et tractations tragiques entre ces hommes si polis, si policées, si compétents. « Réifier » : traiter de l’individu comme d’une chose abstraite, pour lui ôter toute valeur humaine, pour neutraliser toute capacité à le penser comme un semblable.
Ce film est sans faille, rigoureux. Il s’adresse cependant à un public cultivé qui s’intéresse à l’Histoire, qui en comprend les mécanismes et qui peut saisir, dans ce simple épisode de la conférence de Wannsee, combien la part la plus intelligente, la plus éduquée et la plus érudite d’une population, peut, soumise aux pires dogmes raciaux, conduire sans ciller ses semblables au massacre. Tous savaient à quelles horreurs ils vouaient, non pas des marchandises, non pas des unités, mais des millions d’hommes, de femmes et d’enfants.